Le premier livre que j’ai lu de lui portait pour titre « A bord de l’étoile matutine ». La mer dansait sur mon visage des musiques aux sons cristallins. L’auteur, Pierre Mac Orlan, ne m’inspirait aucune émotion. Pourtant…
Je l’avais déniché dans le fatras des livres entassés dans un placard oublié du presbytère de l’île de Bréhat où le prêtre en fonction, Yves Nicolas, avait eu la gentillesse de m’héberger pour quelques jours. Cela a duré trois ans. Trois ans pendant lesquelles ma pugnacité anticléricale trouvait dans sa tolérance des éclats de rire extraordinaires. Il m’apprenait la Bretagne, le rythme des marées, la pêche à pied. La patience. Sa vie d’enfant à la ferme du côté de Treguier. Sa guerre d’Algérie. Ses choix. Ses douleurs cachées, et le mouvement de ses marées intimes dont je garderai à jamais le silence. L’amitié est un ruisseau au murmure très particulier.
J’ignore si Pierre Mac Orlan évoque chez vous quelque chose, mais je fus happé par la qualité du contenu qu’il proposait à l’esprit (a)vide que j’avais hérité je ne sais comment et qui m’avait poussé au-delà des bosquets qui bordent les cités.
Un auteur c’est un peu de hasard et beaucoup d’émotion. Quand on le découvre, on le garde jalousement. Il est cet ami qu’on attend après le rendez-vous et qui tarde à donner de ses nouvelles pendant que vous consultez l’heure à votre montre.
A l’époque, bien que jeune et frêle d’épaules, j’ignorais tout de cet homme prolixe et complet. Chansonnier, poète, essayiste, romancier, la planète prenait rendez-vous à sa table de travail pour un festin singulier. Un peu à l’image de Baudelaire (la comparaison s’arrêtant là) le monde est venu lui rendre visite sans qu’il ait eu à bouger un orteil ou presque. Ce n’est pas le cas de son oeuvre !
Pourtant, j’avais déjà vu à l’écran, deux adaptations de son travail, « Le Quai des Brumes » et « La Bandera », avec un Jean Gabin riboulant des yeux de merlan frit dont le côté bourru du personnage n’avait pas l’air d’offusquer outre-mesure ses partenaires du moment, particulièrement une Michèle Morgan dont les yeux flamboyaient une lumière à l’obscure clarté.
De tels choses peuvent marquer à jamais les esprits. Cela fut le cas pour des générations de cinéphiles.
Quand je parle d’un auteur, je souligne la part d’émotion, de sensations, de complicité et des traces que ces sentiments ont laissé dans mon esprit longtemps après l’avoir lu.
Quand un type qui s’est battu avec la feuille blanche jusqu’à que mort s’ensuive et que longtemps après sa disparition physique il continue à faire partie du cercle étroit de vos circonvolutions mentales, le bonhomme mérite l’éclairage du présent.
N’attendez pas de ma part le récit chronologique de sa vie, les difficultés de sa maman avec les couches culottes, la cruauté du père et autres détails croustillants, très en vogue chez les critiques…
Je vous invite à le lire ou à le relire. A vous de faire la part des choses. Mais quand il parle de brouillard, de mer d’huile, de cabarets ou d’art, Pierre Mac Orlan fait encore souffler un air très vivifiant .
Article relayé par
mancioday
3 janvier, 2009 à 23:40
« Quand un type qui s’est battu avec la feuille blanche jusqu’à que mort s’ensuive et que longtemps après sa disparition physique il continue à faire partie du cercle étroit de vos circonvolutions mentales, le bonhomme mérite l’éclairage du présent. »
Magnifique comme le reste.
J’ai vu « Quai des Brumes » mais je n’ai jamais lu Marc Orlan, mais je l’ajoute à ma longue liste de livres à lire.
Gaël
3 janvier, 2009 à 23:52
@mancioday quelle chance de découvrir Mac Orlan !
b.mode
4 janvier, 2009 à 1:37
La grande Gréco qui l’a chanté disait de lui :« Mac Orlan et son béret à carreaux qui contenait de si surprenantes anecdotes et qu’il sortait comme un prestidigitateur sort les foulards ou le lapin de fond de son gibus. Le béret n’était pas truqué. » Bel hommage, breton !
Erby
4 janvier, 2009 à 1:42
Je connais très peu Mac Orlan, hormis son jouissif : « La jeunesse est un état d’esprit », qui est un peu devenu ma devise !
Rosselin
4 janvier, 2009 à 10:06
Ecoutez ses chansons, interprétées par Germaine Montero. C’est réjouissant et ça plaît à tout âge !
A noter aussi qu’il existe un prix littéraire Pierre Mac Orlan, remis chaque année à Paris par Pierre Bergé.
Bonne année,
Jacques Rosselin
b.mode
4 janvier, 2009 à 10:12
Bonne année à vous, Jacques
lediazec
4 janvier, 2009 à 11:51
Merci Jacques pour ces précisions et bonne année à vous aussi.
@ Erby. Merci pour ton illustration. Elle est parfaitement dans l’ambiance de Mac Orlan. « Je ne pense que par images », disait-il, quand on l’interrogeait à propos de ses livres. Cela te va très bien, je trouve.
Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence