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L’ombre du passé se penche sur le présent

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J’entretiens avec mon grenier une bien étrange relation. C’est l’endroit où je range mes livres dans un désordre monstrueux. Ceux que j’ai lus et ceux (assez nombreux) que je me suis promis de lire un jour. Plus tard. Peut-être jamais. Quoi de plus fantaisiste qu’un lecteur faisant une promesse ?
Quand mes amis voient ma bibliothèque, tous ouvrent des yeux comme ça ! Comment fais-tu pour t’y retrouver ?… Mon grenier-bibliothèque est un voyage au centre de nulle part, le paradis de ma mémoire, le seul endroit sur terre où le mal n’existe pas.

Comment certaines personnes ont pu faire brûler des livres ? Comment certaines autres peuvent penser que la culture n’est pas importante, au point de vouloir détruire ce qui fait la force d’une civilisation, l’enseignement, le savoir et le partage des chances.
Ma vie a toujours été un livre. Un livre qu’on emprunte parce que l’envie vous vient. Parce que vous allez le lire. Parce qu’il est urgent de lui niquer les mots comme on défeuille une rose triste ou un être solitaire. Parce que, au hasard d’une rencontre de grenier, culpabilité oblige, on lui adresse un mot d’excuse, lui susurrant entre les pages : « il faut qu’on finisse par se faire une bouffe un de ces quatre… Promis-juré !… » Puis vous filez chez le voisin, un oublié de l’obscur, une lumière éternelle, à qui vous proposez le même deale…

Qu’il est difficile de promettre quand la vie manque de temps !

Mon grenier-bibliothèque est un dépôt. Une voie de garage. Un carrefour pour le hasard. Un regard sur mon plaisir et sur ma honte. Trop chaud en été. Trop froid en hiver. Jamais à la bonne température par manque de moyens. Mais, dans toute sa modestie, il dégage une loi, unique et universelle : ce qui est à moi est à nous. Depuis que j’ai fait mienne cette rubrique sur « Ruminances », je n’arrête pas d’aller chercher dans mon grenier des gens que j’aime bien. Des auteurs qui n’ont plus la faveur des vitrines et qui méritent l’honneur du présent, parce que pendant que l’histoire leur faisait dessus, dans une cave, ils ne pensaient qu’à une chose : écrire, résister, partager, rêver… S’envoler pour échapper à la barbarie de quelques débiles !

Je les invite chez nous. Comme on invite quelqu’un de bien. C’est exactement comme ça que Lajos Zilahy est arrivé dans ma vie de découvreur de mots.
A l’époque j’apprenais à lire. J’étais le Champollion de la rue des martyrs. J’écoutais Bernard Dimey déclamer du Bernard Dimey avec un talent gravé dans le marbre. J’habitais rue de la Tour d’Auvergne et la découverte d’un auteur hongrois, suggéré par un exilé politique espagnol, ne pouvait que conduire mes pas vers un homme dont je relis aujourd’hui les pages avec une nostalgie absolue.

Cet auteur, dont je n’ai pas trouvé la photo sur le net, est devenu l’ami de toujours. Je me suis baladé avec son livre dans le métro, dans le train. Il a partagé ma chambre, un bout de mes draps. Il a senti et supporté mon odeur. Puis, un jour, il s’est envolé vers d’autres cieux. Découvert le pays des grands lacs. Les grands espaces dont il rêvait dans sa cave en rédigeant dans son cahier « Les Dukay ». Une peinture dont le chrome résiste crânement à l’usure pour s’inscrire dans l’histoire secrète de ses frères.

Cet hongrois est né en 1891 et est mort en 1974. « Les Dukay » est le seul livre que j’ai lu de lui. Je possède l’édition de 1953 chez Stock. Elle est là, devant mes yeux, les pages brunies par le temps, j’ose à peine les tourner. Elles sont marquées par des interruptions diverses. Pliées en coin en guise de marque-pages. Je les redresse, les aplanies. Je les bichonne, c’est mon droit. C’est mon devoir. Je lui dois ça et davantage.

Un type qui écrit dans l’un de ses papiers une phrase comme celle-ci, citée par Pierre Singer dans la préface : « Personne n’a droit à deux tranches de pain tant qu’il reste un homme au monde qui n’en possède pas une miette. », ne peut être qu’un homme bien n’est-ce pas !

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10 Commentaires

  1. b.mode

    14 janvier, 2009 à 20:49

    Dis moi breton, ton grenier, c’est un peu la grange à foin à l’antique. Il y fait bon ruminer, y faire l’âne et y découvrir parfois un petit Jésus … de la littérature, il bas de soie… et en culotte de velours…

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  2. lediazec

    14 janvier, 2009 à 21:27

    Comme d’habitude, mon grenier est un parcours. On marche d’un pas sûr, puis on hésite, on néglige, on revient sur ses pas. C’est le bordel joyeux des gens qui ont la chance de se trouver au carrefour de l’espoir.
    Je file manger un brin et je reviens voir ma copie tout à l’heure. Ces bretons sont des sauvages. Bientôt sur Yotube pour une joyeuse embardée !

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  3. clarky

    14 janvier, 2009 à 21:57

    euh, faudrait qu’on se fasse une bouffe un de ces quatre et le deal voire l’idylle tient toujours :)

    comme quoi l’histoire t’as rattrapé, c’est un autre hongrois qui t’accompagne dorénavant.

    une étrange affaire que ce grenier deferre.

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  4. lediazec

    14 janvier, 2009 à 22:09

    Elle est étrange l’histoire, clarky. Très étrange. Je garde quand même un faible pour Lajos Zilahy. Son nom résonne comme celui de tous ceux qu’aujourd’hui Hortefeux se vante d’avoir refoulé hors de nos frontières.

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  5. Gaël

    14 janvier, 2009 à 22:11

    un chouette grenier ! une bibliothèque d’Alexandrie sous les toits

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  6. clarky

    14 janvier, 2009 à 23:02

    tu sais rodolphe, nos origines assez multiples me font parfois penser à ce que le paternel de mon vieux essayer de me raconter dans un français fortement teinté d’espagnol et parfois même d’arabe.
    et je me dis que des hortefeux il y en a eu et il y en aura toujours.

    mon grand père en espagne était maçon et pas forcément porté sur la politique acharnée, il était simplement communiste.
    quand l’histoire s’est révélée être celle qu’on a découverte à travers des guernica et le franquisme, ben il a pris les armes et délaisser la massette, tout ça pour finir à argelès, parqué comme de la merde, déjà à l’époque.
    Pour sortir de ce camp, il a dû s’engager avec son frère pierrot dans la légion étrangère, lui s’est retrouvé à se battre en afrique du nord où il restera par la suite, et son frère combattant avec le général leclerc et la fameuse 2emeDB.
    je peux te dire que tous deux étaient fiers comme tout de me montrer leurs breloques à moi l’antimilitariste forcené.
    à l’époque je ne comprenais pas leur enthousiasme et encore moins cette fierté qu’ils affichaient, maintenant j’ai saisi ce qu’ils essayaient de me dire alors…
    j’ai toujours été con, mais jeune je battais des records du monde de la discipline, je n’affichais franchement aucun intérêt particulier à toutes ces commémorations d’anciens combattants franco espagnols, tu peux pas savoir à quel point je me suis maudit d’avoir négligé à ce point ces histoires, leur histoire et de ce fait mon histoire.
    je pourrais te dire comment mon père, fils d’immigrés espagnols ne sachant ni lire ni écrire, a été placé en algérie chez les curés et y a subi une discrimination loin d’être positive, et je sais pourquoi aujourd’hui il idéalise autant ses parents qui lui ont tout sacrifié jusqu’à se priver de bouffer, pour qu’il ait pu devenir ce qu’il a été, un agrégé de maths fils d’ouvrier et de femme de ménage illettrés.

    mais je ne peux m’empêcher de penser qu’un hortefeux à l’époque aurait pu envoyer les frères vers d’autres cieux où la lumière se fait sombre et mordante jusqu’à devenir charnier.

    mon post est réellement hors sujet et j’en suis navré, mais l’évocation de ta passion pour les livres me rappelle mon père qui cultive ce même appétit intarissable, et pour lui je sais le pourquoi de la chose.
    merci à toi breton.

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  7. lediazec

    14 janvier, 2009 à 23:17

    Tout ça est vrai, l’ami. On appelait cela les plages de l’exil : Argelès-Sur-Mer, St Cyprien, Rivesaltes… A Collioure est mort un poète espagnol du nom de Antonio Machado.
    Une page d’histoire qui saigne encore. Ne t’excuses pas. Il n’y a aucune raison à cela.

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  8. lediazec

    14 janvier, 2009 à 23:22

    En marchant se construit le chemin. Antonio Machado

    Marcheur, ce sont tes traces
    ce chemin, et rien de plus ;
    Marcheur, il n’y a pas de chemin,
    Le chemin se construit en marchant.
    En marchant se construit le chemin,
    Et en regardant en arrière
    On voit la sente que jamais
    On ne foulera à nouveau.
    Marcheur, il n’y a pas de chemin,
    Seulement des sillages sur la mer.

    Traduction de José Parets-LLorca

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  9. clarky

    14 janvier, 2009 à 23:40

    terriblement évocateur.
    inutile de mettre du superlatif sur ces vers, ils parlent d’eux mêmes.

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  10. mancioday

    16 janvier, 2009 à 0:37

    Article que j’ai savouré à deux reprises. Merci Lediazec

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