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La Chasse au Snark – Lewis Carroll

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Notes de lecture par Rémi Begouen

PRÉSENTATION RAPIDE : Rémi Begouen, nomade sédentarisé à St Nazaire, a couru le monde dans une sorte d’état second, la traversée fabuleuse des miroirs pour seule obsession. Photographe, poète, écrivain, sans ordre défini, joueur d’échecs, Rémi est un lecteur invétéré. De par son insatiable curiosité on peut le placer (si tant est que « placer » soit le terme qui convienne) aux côtés d’Armand Robin et de quelques esprits à la matière souple et revêche, pour qui la vie, la vrai vie, se respire à des hauteurs improbables. Si vous le cherchez sous sa barbe, vous ne trouverez que quelques poils mal peignés. Bien que… de souvenir de barbe, pas un poil n’échappe à la couleur grise de son hirsute prestance, sauf ceux qu’il veut bien laisser filer. Pour le trouver, tentez plutôt votre chance dans une librairie, à l’intérieur des pages d’un livre, n’importe lequel, vous le trouverez dedans en train de déclamer des vers de Léo Ferré! _______________________________________

Joueur de Snark

Gaucher contrarié et bègue, Lewis Carroll écrivait debout. Particularités qui expliquent quelques aspects si surprenants de son œuvre : le mouvement, la symétrie, les mots-valises… et la modestie d’un homme qui devint célèbre avec le succès de son « Alice au Pays des Merveilles », dès 1865. Né en 1832, il avait alors 33 ans. Dix ans plus tard, il écrit « La Chasse au Snark », puis des oeuvres mineures avant de s’éteindre en 1898, à 66 ans – toujours célibataire et n’ayant sans doute eu aucune relation sexuelle.

Lewis Carroll rêvait beaucoup. Pas seulement aux petites filles. D’ailleurs il les faisait rêver bien plus qu’il n’en rêvait. Il préférait les photographier beaucoup… et beaucoup sublimer en rêveries poétiques et ludiques ses pulsions sexuelles pour Alice.

Bibliothécaire, puis professeur de morale et de logique, le mathématicien et clergyman Charles Dodgson – Lewis Carroll – aimait beaucoup le jeu d’échecs. Il faisait, comme tout joueur d’échecs épuisé de parties disputées, des rêves confus où se mêlent des bribes de jeux d’échecs et d’aventures de vivre. Ceci en tout illogisme scabreux et poétique de l’activité onirique. Une trace de cette fantasmagorie des rêves échiquéens du logicien Lewis Carroll se retrouve dans Alice confrontée à la Reine Rouge. Elle est moins explicite, mais encore plus prégnante dans son chef-d’œuvre « La Chasse au Snark ». Où, curieusement, il n’y a que des personnages masculins… à l’exception peut-être du mystérieux « Castor » – figure ultime d’Alice ?…

Ce sont des surréalistes, un demi-siècle plus tard, qui réhabilitèrent en France ce Snark, car la filiation est nette entre le « non-sens » carrollien et le surréalisme. Citons André Breton : « Tous ceux qui gardent le sens de la révolte reconnaîtront en Lewis Carroll leur premier maître d’école buissonnière. »

Rappelons Queneau et Roubaud, poètes amateurs du jeu d’échecs, tout comme Topor ou Perec et tant d’autres artistes mathématiciens proches de l’Oulipo – cet étonnant « Ouvroir de la Littérature POtentielle » né il y a 60 ans en France de la mouvance surréaliste. Et de celle d’Alfred Jarry, dont le féroce couple « Roi Ubu-Mère Ubu » peut être parodie caricaturale du couple royal du Jeu d’échecs.

Mais le cas antérieur du britannique Lewis Carroll est encore plus particulier. Ce grand poète et piètre précepteur entraînait son élève Alice, par plaisir, « Au Pays des Merveilles » ou « De l’Autre Côté du Miroir » – là où son jeu d’échecs fantaisiste devint fantastique composante d’un univers onirique inouï… « pré-surréaliste ».

« La Chasse au Snark » – si excellemment retraduit par Jacques Roubaud 110 ans plus tard – est une œuvre moins connue de Lewis Carroll, pourtant plus poétique et échiquéenne encore. A ma connaissance, personne n’a reconnu à quel point cette chasse loufoque est une belle mise en humour de la philosophie du jeu d’échecs. Dès la Crise Première – et il y en a 8, comme le nombre de lignes et des colonnes de l’échiquier ! – L’Homme à la Cloche branquignol nous présente son équipage de 9 autres branquignols, dont ce Boucher :

« Le dernier membre de l’équipage est spécialement digne de remarque
Bien qu’il ait eu l’air incroyablement idiot
il n’avait qu’une seule idée
mais comme cette idée était « Snark »
L’Homme à la cloche l’engage aussitôt ».

On retrouve là l’idée obsessionnelle du Mat qu’ont les joueurs de tous niveaux et fantaisies, de ce Roi Homme à la Cloche – lequel « n’avait qu’une notion / pour la traversée des océans / faire sonner sa cloche avec violence » – à ce Boucher à l’air idiot. Ainsi, de Crise en Crise, les aventuriers carrolliens, tous plus bizarres les uns que les autres, vont-ils faire folle équipée sans avoir aucun doute sur le but de l’expédition : mater le Snark, dont ils ignorent pourtant tout.
J’y vois là brillante parodie des pièces se lançant avec témérité et foi sur « l’océan » de l’échiquier, chacune à sa façon. Celle du Roi est particulièrement faible., « cloche », mais il est le Chef :
« L’Homme à la Cloche lui
tous aux nues le portaient
Quel port quelle aisance quelle grâce
Et quelle solennité
rien qu’à le voir on sentait
Que c’était un homme plein de sagesse »
(début de Crise Deuxième).

Citons enfin les dernier vers de la dernière et « Crise Huitième » nommée « la disparition » : « Car ce Snark était un boojum voyez-vous ». Le roi-Snark devient fantôme in-tuable, en somme. On peut penser ici à ce qui arrive parfois en fin de partie : alors que l’on s’apprête à mater le Roi adverse, celui-ci trouve parade ultime, en se plaçant sur la case où il sera « pat », c’est à dire prisonnier sans pouvoir être tué. Il est alors devenu l’indéfini « boojum », en somme, et la partie est déclarée nulle. Comme est « nulle » cette si délirante Chasse au Snark… sinon en fécondité philosophique et poétique ! Vive le « non sense » carrollien plein de sens !

Rémi Begouen

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13 Commentaires

  1. b.mode

    10 août, 2009 à 20:38

    Magnifique contribution où on en apprend un peu plus sur Lewis Carroll !

    Dans son regard absent et son iris absinthe,
    Tandis que Marilou s’évertue à faire des volutes de sèches au menthol,
    Entre deux bulles de comic strip,
    Tout en jouant avec son zip
    A entrebailler ses « levi’s »

    Dans son regard absent et son iris absinthe dis je,
    Je lis le vice de baby doll,
    Et je pense à Lewis Carroll.

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  2. jipe

    10 août, 2009 à 22:58

    Merci à vous deux, Rémi et Rodolphe, de faire revivre via ce site quelques intenses moments de mon existence. Je pense à ma femme adorée, amoureuse de littérature, qui doit être en ce moment, en train de dialoguer avec notre ami commun, poète, anar, humaniste et humoriste : Pascal Durand. Je les embrasse tous deux.

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  3. babelouest

    10 août, 2009 à 23:20

    Curieusement,au vu de ces quelques lignes, et bien que cela soit très différent, j’aurai tendance à rapprocher cet ouvrage du roman de SF Babel 17, de Samuel S Delany (Calmann-Levy, octobre 1973).
    C’est une plongée assez onirique dans les volutes des langages, dont certains peuvent se révéler des armes. A lire et relire, si on peut encore le trouver, car il a été réédité en J’ai Lu depuis.

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  4. clarky

    11 août, 2009 à 0:04

    superbe billet, vraiment!!

    dame, vrai que de l’autre côté du miroir (ou devrais-je dire du mouroir) on trouve parfois des choses vraiment surréalistes, des muets qui deviennent de vraies langues de pute, des joueurs de console inconsolables, du plumitif en herbe qui doit se réciter en boucle « le chêne et le rousseau », un tueur en série devenu chantre mou d’une certaine pensée fadasse, un empereur devenu subitement manchot, un révolutionnaire fortement attaché à sa datcha, j’en passe et pas forcément des meilleurs…désolé pour cet aparté inutile mais ça m’a rappelé des trucs assez succulents.

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  5. b.mode

    11 août, 2009 à 7:22

    ça me rapelle également quelque chose mon bon Lolo… ;) M’enfin, bravo encore Rémi pour ce texte finement ciselé qui ne donne qu’une seule envie : se jeter sur le livre…

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  6. des pas perdus

    11 août, 2009 à 18:46

    Les surréalistes furent de sacrés découvreurs… De vrais artistes, en plus dotés d’une conscience politique de gauche. Loin des « artistes » pro-hadopi accrochés à leur cassette !

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  7. lediazec

    11 août, 2009 à 20:11

    Rémi Begouen a son ordinateur en panne. Il me fait faire un communiqué à l’intention de ceux qui ont lu, apprécié, commenté « La Chasse au Snark ». Il fera un commentaire général quand son chalutier sera réparé. Merci pour ce vieux débris à la dérive !

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  8. clarky

    11 août, 2009 à 23:33

    un ordinateur en panne c’est un peu de vie gagnée, un livre enfin commencé, une femme enfin comblée, une vaisselle enfin faite, une décroissance pleinement assumée!!

    bon allez je vais lire le lehane que je me suis acheté ce matin.

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  9. mancioday

    12 août, 2009 à 2:55

    Très bon billet en effet, belle entrée en matière.

    En parlant de Lewis Carroll et d’Alice aux pays des merveilles, son adaptation au ciné par Tim Burton semble bien déjantée et assez fidèle à l’œuvre originale.

    http://www.dailymotion.com/relevance/search/alice+au+pays/video/x9yi73_alice-au-pays-des-merveilles-bandea_shortfilms

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  10. Rémi Begouen

    13 août, 2009 à 14:47

    9 commentaires à ma note de lecture! J’en suis sur le cul… A moi la notoriété ?… J’en deviens Snark, merci à tous. Voici quelques informations sur les traductions en français du Snark:
    -L’incontournable Henri Parisot,’le spécialiste universitaire français de Lewis Caroll’, dans l’édition bilingue (principal intérêt) d’Aubier-Flammarion (j’en ai l’édition de 1979). La traduction est correcte, sans plus, parfois lourde. Mais il y a reproduction des 8 dessins de Max Ernst, magnifiques, qui illustrèrent la 1° parution de cette traduction en 1950, aux Editions Premières. Chez A-Flammarion, ce texte fait suite à celui de ‘De l’autre côté du miroir’.
    -En 1929, Aragon traduisit ‘La Chasse au Snark’. Il a le grand mérite d’avoir ‘relancé’ l’oeuvre. Il paraît que cette 1° edition vaut une fortune. Moi j’en ai une 1° réedition de 1962 chez Seghers (couvertue illustrée par Mario Prassinos), qui, paraît-il, vaut plus que tout le reste de ma bibliothèque (?)
    Mais le défaut de cette traduction, c’est qu’elle ‘sent’ plus le Aragon de France que le Carroll d’Angleterre : réécrit…
    -De loin, la meilleure traduction que je connaisse est celle de Jacques Roubaud, ed.Ramsay,1986. Epuisé depuis longtemps.
    Là le poète français s’efface devant le poète anglais, c’est génial, et j’en ai diffusé une bonne douzaine d’ex. du temps où (1988) où je montais en théatre de rue ‘La Chasse au Snark’ à Saint-Nazaire, via l’association ‘SnaZ?’, mot-valise…
    -En 1996, à 10F, paraissait aux éditions Mille et Une Nuits une autre traduction, très correcte, de Bernard Hoepffner, suivie d’une post-face éclairante. Est-ce trouvable?
    -Il existe d’autres parutions françaises récentes. Dont un beau bouquin de luxe (format à l’talienne) qui a disparu de ma bibliothèque…car ‘le Snark était un boojum, voyez-vous’!

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  11. b.mode

    13 août, 2009 à 18:25

    Merci à toi Rémi pour cette entrée en fanfare chez ruminances. Je m’en vais me mettre en chasse de l’édition des Mille et une Nuits. Vu ce que tu en dis, la traduction de Roubaud me paraît peu probable à trouver…

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  12. lediazec

    13 août, 2009 à 21:36

    Il a toujours eu un faible pour les fanfares le vieux Snark !

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  13. laetSgo

    15 février, 2010 à 19:17

    tiens, ça me rappelle que j’avais gardé sous le coude « Sylvie et Bruno » pour le lire plus tard…ce que je n’ai jamais fait…Et je ne remets pas la main dessus dans ma bibliothèque à triple épaisseur :( …par contre, je retombe sur le Horla en cherchant, donc je vais me rabattre là-dessus

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