Accueil Politique La Chasse au Snark – Lewis Carroll

La Chasse au Snark – Lewis Carroll

13
0
1,033

snark.jpg
Notes de lecture par Rémi Begouen

PRÉSENTATION RAPIDE : Rémi Begouen, nomade sédentarisé à St Nazaire, a couru le monde dans une sorte d’état second, la traversée fabuleuse des miroirs pour seule obsession. Photographe, poète, écrivain, sans ordre défini, joueur d’échecs, Rémi est un lecteur invétéré. De par son insatiable curiosité on peut le placer (si tant est que « placer » soit le terme qui convienne) aux côtés d’Armand Robin et de quelques esprits à la matière souple et revêche, pour qui la vie, la vrai vie, se respire à des hauteurs improbables. Si vous le cherchez sous sa barbe, vous ne trouverez que quelques poils mal peignés. Bien que… de souvenir de barbe, pas un poil n’échappe à la couleur grise de son hirsute prestance, sauf ceux qu’il veut bien laisser filer. Pour le trouver, tentez plutôt votre chance dans une librairie, à l’intérieur des pages d’un livre, n’importe lequel, vous le trouverez dedans en train de déclamer des vers de Léo Ferré! _______________________________________

Joueur de Snark

Gaucher contrarié et bègue, Lewis Carroll écrivait debout. Particularités qui expliquent quelques aspects si surprenants de son œuvre : le mouvement, la symétrie, les mots-valises… et la modestie d’un homme qui devint célèbre avec le succès de son « Alice au Pays des Merveilles », dès 1865. Né en 1832, il avait alors 33 ans. Dix ans plus tard, il écrit « La Chasse au Snark », puis des oeuvres mineures avant de s’éteindre en 1898, à 66 ans – toujours célibataire et n’ayant sans doute eu aucune relation sexuelle.

Lewis Carroll rêvait beaucoup. Pas seulement aux petites filles. D’ailleurs il les faisait rêver bien plus qu’il n’en rêvait. Il préférait les photographier beaucoup… et beaucoup sublimer en rêveries poétiques et ludiques ses pulsions sexuelles pour Alice.

Bibliothécaire, puis professeur de morale et de logique, le mathématicien et clergyman Charles Dodgson – Lewis Carroll – aimait beaucoup le jeu d’échecs. Il faisait, comme tout joueur d’échecs épuisé de parties disputées, des rêves confus où se mêlent des bribes de jeux d’échecs et d’aventures de vivre. Ceci en tout illogisme scabreux et poétique de l’activité onirique. Une trace de cette fantasmagorie des rêves échiquéens du logicien Lewis Carroll se retrouve dans Alice confrontée à la Reine Rouge. Elle est moins explicite, mais encore plus prégnante dans son chef-d’œuvre « La Chasse au Snark ». Où, curieusement, il n’y a que des personnages masculins… à l’exception peut-être du mystérieux « Castor » – figure ultime d’Alice ?…

Ce sont des surréalistes, un demi-siècle plus tard, qui réhabilitèrent en France ce Snark, car la filiation est nette entre le « non-sens » carrollien et le surréalisme. Citons André Breton : « Tous ceux qui gardent le sens de la révolte reconnaîtront en Lewis Carroll leur premier maître d’école buissonnière. »

Rappelons Queneau et Roubaud, poètes amateurs du jeu d’échecs, tout comme Topor ou Perec et tant d’autres artistes mathématiciens proches de l’Oulipo – cet étonnant « Ouvroir de la Littérature POtentielle » né il y a 60 ans en France de la mouvance surréaliste. Et de celle d’Alfred Jarry, dont le féroce couple « Roi Ubu-Mère Ubu » peut être parodie caricaturale du couple royal du Jeu d’échecs.

Mais le cas antérieur du britannique Lewis Carroll est encore plus particulier. Ce grand poète et piètre précepteur entraînait son élève Alice, par plaisir, « Au Pays des Merveilles » ou « De l’Autre Côté du Miroir » – là où son jeu d’échecs fantaisiste devint fantastique composante d’un univers onirique inouï… « pré-surréaliste ».

« La Chasse au Snark » – si excellemment retraduit par Jacques Roubaud 110 ans plus tard – est une œuvre moins connue de Lewis Carroll, pourtant plus poétique et échiquéenne encore. A ma connaissance, personne n’a reconnu à quel point cette chasse loufoque est une belle mise en humour de la philosophie du jeu d’échecs. Dès la Crise Première – et il y en a 8, comme le nombre de lignes et des colonnes de l’échiquier ! – L’Homme à la Cloche branquignol nous présente son équipage de 9 autres branquignols, dont ce Boucher :

« Le dernier membre de l’équipage est spécialement digne de remarque
Bien qu’il ait eu l’air incroyablement idiot
il n’avait qu’une seule idée
mais comme cette idée était « Snark »
L’Homme à la cloche l’engage aussitôt ».

On retrouve là l’idée obsessionnelle du Mat qu’ont les joueurs de tous niveaux et fantaisies, de ce Roi Homme à la Cloche – lequel « n’avait qu’une notion / pour la traversée des océans / faire sonner sa cloche avec violence » – à ce Boucher à l’air idiot. Ainsi, de Crise en Crise, les aventuriers carrolliens, tous plus bizarres les uns que les autres, vont-ils faire folle équipée sans avoir aucun doute sur le but de l’expédition : mater le Snark, dont ils ignorent pourtant tout.
J’y vois là brillante parodie des pièces se lançant avec témérité et foi sur « l’océan » de l’échiquier, chacune à sa façon. Celle du Roi est particulièrement faible., « cloche », mais il est le Chef :
« L’Homme à la Cloche lui
tous aux nues le portaient
Quel port quelle aisance quelle grâce
Et quelle solennité
rien qu’à le voir on sentait
Que c’était un homme plein de sagesse »
(début de Crise Deuxième).

Citons enfin les dernier vers de la dernière et « Crise Huitième » nommée « la disparition » : « Car ce Snark était un boojum voyez-vous ». Le roi-Snark devient fantôme in-tuable, en somme. On peut penser ici à ce qui arrive parfois en fin de partie : alors que l’on s’apprête à mater le Roi adverse, celui-ci trouve parade ultime, en se plaçant sur la case où il sera « pat », c’est à dire prisonnier sans pouvoir être tué. Il est alors devenu l’indéfini « boojum », en somme, et la partie est déclarée nulle. Comme est « nulle » cette si délirante Chasse au Snark… sinon en fécondité philosophique et poétique ! Vive le « non sense » carrollien plein de sens !

Rémi Begouen

Charger d'autres articles liés
Charger d'autres écrits par Rémi Begouen
Charger d'autres écrits dans Politique

Oops ! Une erreur est survenue.

L'accès au blog est momentanément impossible,
veuillez nous excuser et ré-essayer dans quelques instants.

Retour ou Écrivez-nous si le problème persiste.