Le dernier mousse – Antartida – Francisco Coloane
L’Allumeur de rêves berbères – Mohand Fellag
Les amis sont épatants. J’aime la facilité avec laquelle ils vous hissent en haut du mât de l’amitié, vous encourageant à montrer les limites de votre savoir ou de vos compétences. Rémi Zetwal (avec i latin pour Rémi, s’il vous plaît !) est de ces amis. Pourquoi Zetwal ? Parce que zetwal signifie étoile en créole martiniquais et que étoile est le signe avec lequel il ponctue le i latin de son prénom.
Zetwal est donc la rencontre de Rémi avec le parlé du monde. Il me dérange dans ma quiétude ruminante, comme il dit, pour m’apprendre ça et m’apporter une idée de chronique pour mes notes de lecture. Joignant l’acte à la parole, je reçois par la poste un petit livre à chroniquer.
Parler de ce livre c’est parler de moi. L’auteur est kabyle et moi je suis né en pays berbère. Lui en Algérie, moi au Maroc. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais je ne parle ici que de livres ou d’auteurs que j’aime. Le temps qui m’est imparti dans ce quotidien affolant est si court que je juge inutile de m’attarder sur des livres que je n’aime pas ou sur ceux que je trouve foncièrement mauvais. Ainsi, nul n’est fâché et j’ai économisé un temps précieux pour contempler ne serait-ce que la brillance d’un ciel d’été. Ou d’automne, peu importe la saison du reste. Un ciel où les étoiles sont aussi grosses que mon poing et la lune aussi bleue qu’une orange comme l’écrivait un poète célèbre. Cela fait plus ou moins de trente ans que nous sommes amis et une chose est sûre : cela ne fait pas trente ans pile. Ça sent mauvais les amitiés de trente ans !
La première fois que nous nous sommes croisés avec Rémi, Sabrina avait des problèmes de soutif au bord de la piscine et elle chantait Boys, boys, boys… Évidemment, ça ne valait pas tripette mais sa paire incitait à la paillardise pour rester dans les limites autorisées par la bienséance. J’habitais à l’époque une île du Ponant, la plus belle dit-on. Je ne suis pas loin de le penser. Rémi Zetwal est arrivé de Genève pour une expo photo dans le cadre d’une fête organisée par des insulaires hurluberlus. A l’époque, la photo était sa passion. La photo et la poésie. Il intitulait ses expos « Phoésie ». Il aime les mots valises, Rémi Zetwal. Nous devions jouer sur le bord de la grève « La Chasse au Snark ». Le metteur en scène m’avait attribué le rôle de l’homme à la cloche. Tu parles d’une affaire !
L’été étant la saison idéale pour frétiller dans le bain des insouciances, je finissais la lecture du « Dernier mousse » de Francisco Coloane et m’apprêtais à rédiger une note sur cet auteur, magnifique romancier et nouvelliste chilien. Ce petit livre avec son pendant « Antartida » retrace les retrouvailles et le périple d’Alejandro et Manuel Silva Cáceres, au-delà des eaux redoutables du Cap Horn, sur les terres australes., dans un décor à couper le souffle, dans une des régions les plus sauvages et solitaires qui soit. Dans le pays des loutres et des indiens Yaghan. Des hommes qui connaissent le sud comme nous n’avons pas envie de connaître notre âme. Petits livres magnifiques d’un conteur extraordinaire dans un voyage initiatique de toute beauté. Bourré de bonnes intentions, poétique, onirique, écologique, dans ce que l’écologie a de sain et d’honnête. Des récits aux trésors fantastiques où comme le dit Manuel, le frère d’Alejandro : « Nous sommes comme les glaces, la vie nous fait parfois chavirer et nous change de forme. » Cela se lit en deux coup de cuiller à pot et ça vous remue positivent l’esprit.
J’en étais là quand je reçus par courrier ceci : « J’ose espérer que tu vas te fendre d’une chronique et à toute fin utile je t’indique la page 198… » Rien que ça ! Je ne partage pas tous les choix de lecture de Rémi Zetwal (une très, très grande partie, oui) mais s’agissant de Fellag je ne peux qu’applaudir. J’avais entre les mains un exemplaire de « l’Allumeur de rêves berbères ». J’avais précédemment lu « Comment réussir un bon petit couscous ». Un livre fondant dans lequel il était question de couscous et de « complexe de la merguez », et « les peurs ancestrales des circoncissions ratées. » où l’auteur prouve avec un brio exceptionnel pourquoi Freud n’est pas « d’origine viking, mais d’origine contrôlée ». Je me retrouvais plongé dans l’ambiance d’un pays (mon pays) vivant et coloré ou la pénurie d’eau conjuguée à la mécanique de la débrouille et de l’éternel espoir provoque et développe de l’humour noir en quantité suffisante pour résister à n’importe quelle invasion de type religieux ou philosophique. C’est le propre de l’homme libre et du berbère en particulier que de s’amuser des choses qui ailleurs font pleurer. Fellag a ce talent extraordinaire. Si j’avais le même, vous seriez déjà en train de lire ce livre vous tapant le cul par terre, priant Allah pour qu’il foute la paix à ces frères de la « zone couscous » qui font de la vie un paradis pour le rire.
En cette période de grisaille politique, économique et culturelle, pisser de rire dans son froc n’est pas un acte d’incontinence gênant, mais pourrait devenir un geste politique d’envergure.
b.mode
22 août, 2009 à 14:27
Sabrina, ça fait trente ans ? ça me parait plus récent !
clarky
22 août, 2009 à 15:23
bordel aqueux, j’ai cru en lisant que t’avais pété un câble et écrit tout seul la suite de la série noises
ce texte est magnifique, je sais pas quelle tronche à rodo, encore moi si sa moitié est de droite ou de gauche, mais ses mots suffisent à rendre le bonhomme attachant, un de ceusses que t’as même pas envie d’emmerder même pour le plaisir.
fellag sur scène c’est cake chose, il te trimballe dans son univers où se mélange rires et émotions, la vie quoi.
et les histoires de kabyle sont de véritables périples.
me souviens d’un chantier, y’a 5 ou 6 ans peut être, en plein mois d’aout, chaleur terrible à pas mettre un vieux sous un platane.
dans cette équipe y’avait de tout sauf du bon petit français bien propret, pas un brin de ceusses qui te parlent de la vie en faisant des tirades sur la pénibilité du truc, les conditions de travail de machin, etc, etc.
bref, au milieu de cette tour de babel fortement colorée, même moi après 5 jours de cagnard j’étais noir, y’avait un petit bonhomme (40 piges environ) qui turbinait comme un michelangelo de la truelle.
ce gars, Mourad, était Kabyle et à chaque repas entre midi et 1 heure (voué on n’avait qu’une heure nous pour bouffer)il m’emmenait visiter sa kabylie natale.
vu que je suis pas très causant malgré les apparences, il a frappé à la bonne porte.
fils de pied noir algerois que je suis avec mes histoires pas toujours dignes des soirées noctambules branchées, et lui le berbère en mal du pays, on s’est racontés, appréciés.
je ne sais pas ce qu’il est devenu, peut être est il retourné chez lui chanter comme il le faisait dans une autre vie, peut être est il toujours sur marseille en train de construire des villas ou viendront s’installer des couples de cette gauche à l’écoute de ces petites gens, enfin tant qu’il ne viennent pas trop les faire chier mais là je vais glisser sur un terrrain qui va créer de l’animosité réelle…
finalement, j’ai plus appris de la vie avec mourad par exemple, même si un jour je me suis foutu en pétard en lui disant d’arrêter de cracher pendant que je buvais mon kawa, parce que ça me coupait la chique tous ses mollards offerts à la nature.
la vie c’est avant tout celle des autres, encore faut-il que les autres aient quelque peu vécu pour la partager, et vivre dans un certain confort ne génère que des vérités tronquées voire insipides surtout quand elles prétendent se mettre aux services d’autrui.
Rémi Begouen
22 août, 2009 à 19:54
Nom du Zetwal que je deviens, salut aux zétoiles ruminantes…
- Sabrina ? Je ne connais pas encore, depuis trente ans, mais c’est un millionième de millionème de seconde pour Zetwal…
- Francisco Coloane ? Même remarque…
- Clarky ? Je connais sa prose si vivante, comme entre bavards kabyles et bretons. Au fait, qui me rappelera l’auteur d’un magnifique réçit du XIX° siècle, récemment exhumé d’un grenier? Il s’agit en substance d’un gars engagé par erreur dans l’expédition de conquête de l’Algérie vers 1840 : il est en Kabylie, à faire le coup de feu contre ‘les rebelles’ mais il les comprend, phonétiquement : ce sont de sages paysans comme lui-même, au même type de rude langage, ruinés par les conquêtes des envahisseurs (anglais et français en Bretagne, arabes et français en Kabylie). Je crois que le bouquin s’appelle ‘Mémoires d’un paysan breton’, q.q.chose du genre.
clarky
23 août, 2009 à 12:17
merci rémi, je sais pas si je fais de la prose parce que je me suis encore jamais baigné dans le jourdain
Mancioday
23 août, 2009 à 13:45
J’aime particulièrement ta conclusion amigo
b.mode
23 août, 2009 à 15:20
@mancio Incontinent va !
Pao Daxon
23 août, 2009 à 19:20
Le créole martiniqais n’est pas si différent du créole haïtien.
lediazec
23 août, 2009 à 20:32
@ Pao Daxon. Merci de votre précision.
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Pipo
28 août, 2009 à 2:26
Est-ce qu’on parle le créole ailleurs qu’en Haïti ou dans les Caraïbes?
lediazec
28 août, 2009 à 7:26
@Pipo. Merci pour votre question. Elle m’a permis d’entreprendre des recherches et de découvrir le lien que voici : http://creoles.free.fr/articles/tipamchm.htm
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rotko
23 décembre, 2009 à 19:45
je prefére « antardida » au « dernier mousse », ce qui ne veut pas dire que ce dernier titre démérite !!
L’astuce de Coloane dans ce court récit a été de faire un roman d’initiation : celui d’un jeune garçon qui embarque sur la corvette Barquenado, pour devenir marin et aussi retrouver son frère.
Le lecteur partage son aventure et ses sensations :
Citation:
« Le vent continuait de hurler dans les cordages et un coup de tambour colossal interrompait parfois la symphonie de cette nuit déchaînée lorsqu’un foc mal bordé claquait en ondoyant. »
Avec lui le voyage est fabuleux.
quelques avis sur coloane http://grain-de-sel.cultureforum.net/litterature-hispanique-f6/francisco-coloane-chili-t1965.htm?highlight=coloane
b.mode
23 décembre, 2009 à 19:50
Content de te lire rotko !
lediazec
23 décembre, 2009 à 20:25
@ Rotko. Merci pour votre contribution. Très belle. J’adore ça chez Coloane, cette façon de faire claquer les mots et bouger les idées avec la force du vent.
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