Alors que nous déplorons avec insistance le manque d’engagement des intellectuels français dans le débat politique, même si certains tel Michel Onfray sont exception, voici qu’un prix littéraire tombe comme un cheveux dans la soupe sarkozyste. J’avoue m’être méfié de ce coup d’éclat. Je me suis dit : « ça c’est encore un coup médiatique soigneusement préparé pour booster les ventes… » Avec tant de gens assis, j’étais surpris par l’attitude de quelqu’un ayant conservé une position verticale et la langue bien pendue des gens libres. “Mieux vaut vivre un jour comme un lion que cent ans comme un mouton », dit un proverbe italien.
Je ne suis pas amateur de prix littéraire. Je ne juge pas indispensable la lecture d’un livre ayant reçu une distinction nationale. Un livre est une aventure en même temps qu’une découverte. Un livre est un train qu’on prend sans idée précise. Tenez ! L’autre soir, à la faveur d’une insomnie, j’ai ouvert le poste et là, sorte de sortilège noctambule, je suis tombé sur la rediffusion de la très bonne émission « Des mots de minuit », animée par Philippe Lefait. Il était question du Liban (ah, la merveilleuse plaine de la Bekaa), le livre comme sujet et comme fil conducteur à une sorte de voyage extraordinaire dont le va-et-vient des vagues, le soleil, la chaleur palpable, donnaient envie d’aller piquer une tête et se laisser aller ensuite à la dégustation d’un thé à la menthe. Le livre blessé par tant de souffrance, mais pas mort. Le livre comme dernier recours contre la guerre. Le livre comme refuge et comme rempart.
La question était la suivante : « Comment vit le livre au Liban ? Comment se porte-t-il ? Qui achète ?… A quel prix ? » Au milieu d’un décor, un écrivain. Pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de Jean-Marie Le Clézio. Quand Le Clézio parle livre, on a l’impression que le monde n’est que ça : un grand livre ouvert pour aventurier de la vie. Un poème épique où chaque mot se gagne de haute lutte. Où chaque instant est unique et non divisible. Et ce trébuchement qu’il a quand il parle, cette fragile et pourtant solide certitude se perdant dans les brumes de l’esprit pour nous revenir plus forte, plus fragile et plus vraie. Grand moment difficile à partager
Je ne suis pas sûr que ces choses soient à la portée de monsieur Eric Raoult. En rendant publique son intention de solliciter les services de Frédéric Mitterrand pour obliger une romancière à un « devoir de réserve » pour des propos que celle-ci a tenus à l’encontre du gouvernement et dont on ignorait jusqu’à présent l’existence, ce monsieur montre les limites d’une pensée, ouvrant des perspectives inquiétantes pour la liberté d’expression dans ce pays. Après la célébration ubuesque du 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin, voici que monsieur Eric Raoult, ajoutant son parpaing, viendrait presque à regretter l’autorité du régime dont on fêtait la disparition.
Qu’a-telle dit pour mériter une telle charge madame Marie Ndiaye ? Rien que nous ne dénoncions déjà. Elle confirme ou ajoute sa voix citoyenne à celle de n’importe quel citoyen un tantinet inquiet par la dérive inquiétante de la vie politique de son pays. Seulement voilà : madame Ndiaye est quelqu’un d’important. Elle vient de recevoir le plus important prix littéraire du pays. Sa déclaration constitue une lézarde dans le mur du sarkozysme.
Les citoyens n’ont pas tous, comme Marie Ndiaye, les moyens financiers pour aller s’installer à Berlin ou ailleurs, mais laissons lui la parole. Venant du prix Goncourt 2009, cela a son poids. A la question : « vous sentez-vous bien dans la France de Sarkozy », elle a dit ce qu’une grande majorité de français ne cesse de dénoncer depuis que Nicolas Sarkozy a pris ses fonctions à la tête du pays : « Je trouve cette France-là monstrueuse. Le fait que nous (avec son compagnon, l’écrivain Jean-Yves Cendrey, et leurs trois enfants – ndlr) ayons choisi de vivre à Berlin depuis deux ans est loin d’être étranger à ça. Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je me souviens d’une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j’aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : “La droite, c’est la mort.” Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible. Et même si Angela Merkel est une femme de droite, elle n’a rien à voir avec la droite de Sarkozy : elle a une morale que la droite française n’a plus. »
Quand on est nul et qu’en plus on est bête, comme monsieur Raoult, il n’y a aucune raison pour que cela arrange les affaires du chef de l’Etat. Le problème avec les gens autoritaires, monsieur Sarkozy en particulier, est simple : pour se convaincre qu’ils sont les meilleurs, il faut qu’ils s’entourent de gens médiocres. Dans l’obscurité une bougie suffit à faire la lumière.
http://www.dailymotion.com/video/xb0ga7
Quand le même Raoult défend son ami le dictateur tunisien Ben Ali, on comprend mieux son étrange conception de la liberté d’expression…
CCil
16 novembre, 2009 à 15:53
Y-a-t-il eu des réactions aux bêtises de monsieur Raoult de la part des gens de son camp ?
lediazec
16 novembre, 2009 à 16:12
Je pense que côté majorité le facteur discipline a joué son rôle. Même le ministre de la culture (pourtant concerné) a joué la neutralité. En douce, je pense que ça a dû couiner un brin.
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