Donjipez est un vieux complice de twitter. Un insomniaque notoire qui émet de l’info jusque dans la nuit noire. Ici, à ruminances, on lui a demandé quatre lignes sur l’héritier Sarkozy pour illustrer le palmarès des doigts d’honneur 2009. Il nous a pondu un billet complet. Le voici dans son intégralité.
L’été n’avait pas été bon pour Jean. Et depuis la « rentrée », cela ne s’arrangeait pas. Une rentrée bien relative d’ailleurs puisqu’elle n’avait été précédée de rien. Difficile de revenir de nulle part. Cela faisait un petit moment que la phrase tournait dans sa tête et lui arrachait un sourire ironique. Pas à sa mère dont il voyait bien qu’elle commençait à avoir quelques doutes sur le génie supposé de son « petit prince ». Encore moins à son père qui n’en disait guère plus qu’à l’accoutumée mais maugréait dans son coin. Pas qu’ils le laissât tomber vraiment d’ailleurs. Mais il voyait bien que ses parents ne comprenaient pas vraiment, il sentait leur acrimonie, leur déception, et il jugeait, à quelques remarques, de ce qui était une muette accusation, un non-dit de reproches effleurés.
Sa mère était concierge après avoir longtemps fait des ménages. Son père était retraité du bâtiment. Ouvrier et fils d’immigré qui avait voulu croire aux principes de l’école laïque jusqu’à en devenir parfois xénophobe pour ceux qui ne se coulaient pas dans le même moule et ne croyaient pas comme il l’avait fait, lui, à la réussite à la force du travail et des efforts. « Faut savoir serrer le poing dans sa poche » était l’une des phrases toutes faîtes qu’il avait parfois voulu faire philosophie de vie et inculquer à sa progéniture.
Cela ne l’avait pas rendu soumis pour autant et il avait lutté et milité de là où il était pour changer les choses. Aujourd’hui Jean voyait surtout qu’il ne les comprenait plus vraiment et quand le vieux sortait griller sa blonde devant la porte avec son chien le nez collé aux talons, il ne pouvait s’empêcher de choper un regard dans lequel il voyait doute, désapprobation et colère rentrée. Il se rendait aussi compte que même sa mère, qui l’avait depuis toujours situé entre la quatrième merveille du monde et le génie universel, doutait. Et pas qu’un peu. Parfois d’ailleurs quelques reproches fusaient sur un mode « tu es trop exigeant mon fils, faut savoir manger son pain noir ». Elle venait d’une famille où on ne mangeait justement pas forcément tous les jours à sa faim mais elle croyait dur comme fer à la volonté et avait la fierté du peu qu’elle avait en s’étant arrachée des pires difficultés.
Jean était sans doute différent. D’un autre bois. D’un autre désespoir aussi. Sans avoir jamais manqué de rien mais en ayant bien vu qu’il n’aurait jamais tout. Cela ne l’avait pas empêché de jouer le jeu. Plutôt brillamment même. Motivé par le discours parental, l’idéologie du tout travail et l’envie de faire plaisir pour ne pas dire de briller un peu, il avait fait des études enviable qui s’étaient soldées à l’issue d’un double cursus par un master de droit public et une licence de communication. Un truc qui ressemblait à des vrais bagages quoi. Mais, à un peu plus de 23 ans désormais, il avait quand même un sérieux problème pour trouver où les poser.
Pas la bonne conjoncture. La crise. Expérience insuffisante. Un stage à la rigueur si vous étiez encore étudiant. Trop diplômé. Des comme ça et bien d’autres, il en avait entendues souvent. Là où il croyait que serait le moment de son envol, il se retrouvait dépendant, sans revenu, une charge pour ses parents; un poids qu’il se sentait bien peser à l’âge où ils auraient pu penser à vieillir en toute sérénité.
Juste avant l’été, la conseillère d’Adecco à qui le Pôle emploi sous traitait une partie de sa mission contre argent public sonnant et trébuchant lui avait quand même trouvé un truc pour un mois. « Pas si mal pour les jeunes comme vous qui veulent mettre le pied dans la vie active », qu’elle avait même dit. Il s’agissait de glisser des prospectus sous les essuie-glaces des véhicules garés dans le centre pour les avertir des changements en matière d’interdiction de stationner avant la transformation en zone piétonne. « Quasi une mission de service public quoi », en avait-il rigolé jetant les papiers à l’égout par paquets de douze avant d’aller boire un café avec ses compagnons de labeur.
Cette période aurait finalement pu être sympa d’ailleurs. Les premiers beaux jours, les discuss’ avec les autres mecs embarqués dans le truc avec lui et aux parcours qui finissaient pas tous se ressembler… Tous unis par un boulot de merde dans une époque de merde, avec le mérite d’avoir commencé à piger et de le faire salement comme leur aurait conseillé Georges Darien.
Mais c’est à cette époque qu’il y avait eu l’épisode Clotilde. Enfin, sa fin. Son acrimonie et sa mauvaise humeur nés de sa situation n’y étaient pas pour rien bien sûr. En tout cas cela avait fini de rendre l’atmosphère insupportable. Peut être aussi parce qu’elle n’avait pas les même atouts. Depuis la fin de ses études, elle bossait dans la boite d’un copain de son père. Un truc de com’ axé sur les nouveaux médias. Ce genre d’arnaques quoi. Leur différence en était devenu flagrante. Déjà étudiant, il avait dû ravaler son orgueil pour s’immiscer dans l’entourage de sa future meuf. Les choses n’étaient pas vraiment dîtes bien sûr mais, quand il n’accompagnait pas lors de certaines sorties ne pouvant encore taper ses parents, il y avait comme un air entendu et, malgré les progrès des fabricants, il savait bien que ce qu’il portait ne faisait guère illusion quand tout ce petit monde s’extasiait, plein de fureur intérieure de ne pas être au centre des attentions du jour, sur les derniers achats de marques des autres. Lui, on sautait son tour.
Rien de grave en fait. En tout cas cela ne l’aurait pas été si, diplômes en poches, tout le monde était reparti sur un même pied du pouvoir paraître ce que son travail lui permet.
Mais voilà, il y avait eu cette spirale. Elle durait depuis des mois et il n’en voyait pas vraiment la fin. Petit à petit, il avait fini par ne plus répondre au téléphone, même à ses vieux potes. Ne plus se lever. Veiller la nuit. Il avait remis à plat des années d’intoxication et se rendait à l’évidence qu’on lui demandait de lutter pour rentrer dans un moule parfaitement stupide et vain. Leur « bosse pour avoir plus et mieux » n’était qu’une escroquerie. Cette lucidité nouvelle, il ne s’en était pas aperçu, personne ne s’en était aperçu, avait été accompagnée de l’entrée dans une phase de profonde dépression dans laquelle il s’était totalement enfoncé durant ce mois de septembre. L’automne commençait en ce début d’octobre à avancer quand ses parent le trouvèrent mort dans sa chambre. Suicidé.
Le lendemain de son enterrement, ils étaient silencieux, les yeux dans le vide devant un bol de café dans leur vieille cuisine quand la radio annonça que Jean Sarkozy, fils du chef de l’Etat, triplant sa deuxième année de droit, allait être nommé à la tête de l’Epad.
Donjipez
b.mode
29 décembre, 2009 à 4:26
Noir c’est noir… Il n’y a plus d’espoir ?
babelouest
29 décembre, 2009 à 6:42
Il s’appelait Jean Maroto, sans doute, ou Jean Respighi. Par malheur il était doué, par malheur il avait des diplômes : quand le chômage touche tout le monde dans la vraie vie, le diplôme permet seulement de retomber de plus haut. Seuls les « enfants de » ont les places enviables, comme çà, parce qu’elles les intéressent. Y arrivent aussi les plus cyniques, les moins scrupuleux, ceux qui avancent en marchant dans le sang physique ou moral de leurs victimes.
Quand la marmite bout, l’espèce de mousse encombrée de débris en surface, on l’écrème, et on l
babelouest
29 décembre, 2009 à 6:52
, on l’écrème, et on la jette. Avec la racaille qui se croit au-dessus des citoyens, on fait pareil. Je note bien que cette racaille ne fait pas partie des citoyens, elle s’en est retirée d’elle-même.
(décidément, je me bats avec mon clavier, désolé)
Donjipez
29 décembre, 2009 à 7:26
Juste merci en passant d’avoir trouvé cette petite fiction digne d’être publiée ici. Un peu noire certes mais pas trop éloigné malheureusement de bien des réalités. Et le pire parfois et de constater que soi même on s’est fait un temps avaler par la logique de la machine et l’intox idéologique de la réussite du travail, de la conso… Pour survivre il nous faut alors refuser d’entrer ou de rester dans cette logique du broyeur qui vit du « sang physique ou moral » des autres. Et renoncer, une liberté que tout le monde n’a pas. Et puis il y a tous ces héritiers de caste ou de sang qui n’ont, eux, rien à prouver qu’à prendre les places réservées et qui ne retomberont jamais sans un vrai coup de balai, se servant des armées formées à la crédulité pour servir la « matrix ».
Bonne journée la « belle équipe », il est l’heure pour moi d’aller me coucher
Marine
29 décembre, 2009 à 16:17
Illustration parfaite de l’escroquerie de la fameuse « égalité des chances ». Beau texte, merci !
laetSgo
29 décembre, 2009 à 17:30
Bravo @Donjipez ! très beau texte ! pour ma part, je préfèrerais que les Jean qui ne sont pas nés avec une cuillère en or dans la bouche se révoltent plutôt que ne s’éteignent…
b.mode
29 décembre, 2009 à 18:09
Les Jean’s sont devenus tendances. On les délave avant même qu’ils ne sortent sur le marché…
lediazec
29 décembre, 2009 à 18:43
Depuis Paris, dare-dare, bravo à Donjipez. C’est du très bien torché. Excellent !
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clarky
30 décembre, 2009 à 12:29
noirceur du tableau, auteur lumineux
Droldidé
30 décembre, 2009 à 12:48
Donjipez, ton texte est beau, moir et sombre. Quand l’iniquité devient le système dominant régissant nos existences que reste-t-il comme choix que la soumission ou la révolte. Je ne sais pas ou classer le suicide dans ces deux choix. Bref! Je suis d’accord avec LaetSgo, la révolte, la vraie, celle qui renverse les pouvoirs injustes est de plus en plus attractive et va devenir d’actualité j’espère.