Je devais aller à la pêche ce dimanche. Finalement, je suis resté à quai. Pas à cause du mauvais temps, comme je l’ai annoncé sur Twitter. On raconte n’importe quoi sur ce réseau social au nombre de caractères limités. Je ne suis pas allé pêcher à cause de mes collègues matelots restés en rade. Hier soir et jusqu’à tôt ce matin, ils étaient en jaille. Ils trainaient une sacrée secouée les saligots ! Ils sont venu boire le café vers les 6 heures du matin. On annule tout qu’ils ont dit. Tu devineras jamais pourquoi : y a de la piole dans la baie qu’ils ont ajouté, riant comme des cinglés. Pour me consoler, de bonne heure, après leur interminable départ, j’ai longé la baie. La vraie baie de Perros. Pas cette chose graisseuse qu’ils se frottaient en riant… Mer d’huile. Temps frisquet, mais supportable. Quelques coureurs faisaient comme à la télé. Les goélands survolaient le port en criant. Au loin, les contours de Tomé laissaient deviner ceux de Rouzic, avec sa grosse tache de fiente dans sa partie est. Au café du port, il y avait les tardifs et les matinaux. Les uns parlaient fort, les autres se réveillaient.
Journée tranquille ce samedi. Comme je n’avais rien à écrire pour Ruminances, j’ai regardé la télé, lu les journaux et quelques pages de « Après l’histoire » de Philippe Muray. Si vous voulez vous instruire sur la vie et l’œuvre de l’Homo festivus, appellation d’origine contrôlée, je vous y invite. C’est autrement plus intéressant que du BHL. Je ne dirai rien sur Yann Moix aperçu chez Ruquier, tentant d’apporter son soutien à BHL. J’ai lu aussi le petit essai de l’ami Rémi Bégouen, « Les acharnistes », suivi de « Au bord du Canal ». Quelques textes ont déjà illustré les pages de Ruminances, Orwell et Carroll notamment. Ces souvenirs d’une vie en quelques fragments sont une bonne chose. Voici ce que j’ai écrit à leur sujet : « …dans leur continuité ou dans leur unité, ces souvenirs sont le fil invisible du funambule guidant le lecteur dans le hasard de sa vie et de ses engagements politiques. Qui peut échapper à l’enfance ? A son hasard ?… »
Plus ça va et moins j’aime ce « On n’est pas couché » de monsieur Ruquier et consorts le samedi en seconde partie de soirée. Tout ça est d’une grande décadence. Des penseurs au rabais vous vantant la futilité comme mode de vie. Le public fait la claque et le vendeur propose sa came. Qui un livre. Qui un film. Qui une pièce de théâtre ou un programme politique. Dans tous les cas, une justification. On ne peut pas avoir tout le temps l’air grave et concentré. Cela serait ennuyeux un monde ainsi formaté. Du piment dans la vie, que diable ! Rions ensemble. Même si nous rions bêtement. Ceux qui n’ont rien d’autre à faire ou qui n’ont aucune idée de ce qu’ils pourraient faire pour bien s’amuser trouvent cela fort épatant. Cela est certes fort dégradant.
Le week-end c’est sport. Cérémonie d’ouverture des JO, strasse et paillettes, en veux-tu, en voilà ! Le peuple expulse les toxines, se bouge le train. Le commentateur commente au kilomètre. On crache des hectolitres de salive. L’hiver c’est chaud. L’été aussi sera chaud. Chaud tout le temps. Le monde crève de misère, d’ennui, d’injustice et d’indifférence, mais nous avons les jeux. Du plaisir. Des larmes. De la joie. De la déception. Un peu de dopage aussi. Faut bien engraisser la poulaille. Dans quelques temps on retirera sa médaille à un champion pour tricherie. Oulala ! La honte ! Mais la morale est sauve. Un lugeur est mort à point nommé. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut pleurer autour du corbillard olympique ! On se demande qui, dans le monde, n’a pas vu ou entendu parler de ce lugeur que nous avons déjà oublié.
Quelques casseurs anarchistes, habillés de noir et le visage masqué, ont brisé des vitrines et agressé des passants samedi dans une rue commerçante de Vancouver. Un moment de très vive émotion chez les commentateurs. A les écouter c’est comme si une armée de talibans avait soudainement déferlée dans cette ville portuaire de l’ouest canadien pour exploser le ciment de la culture occidentale. La police a arrêté quelques trublions, saisi un marteau et une chaine de vélo. Ouf ! Ils sont vraiment désobligeants ces jeunes anarchistes ! Dangereux avec ça : un marteau et une chaine de vélo !
Il y a la Grèce aussi. Tout le monde en a parlé pendant la semaine. Tout le monde a fini par comprendre. Je ne suis pas un grand spécialiste de l’économie, mais niveau triche et magouilles, je sens ça à des kilomètres. Cela se traduit comme suit : dans un premier temps, la crise est provoquée par les banques, les traders tout ça. Ça va mal, très mal. Tout le monde gueule. Tout le monde a mal. Tout le monde a peur. Les petits plus que les gros. Chacun fait aie, aie, aie dans son coin. Bien au chaud, des gros saligauds rigolent. Réunis en concile, pressés par l’opinion, houspillés, les états renflouent les banques à coups de milliards. Pour les contreparties on verra ça plus tard. Le smic stagne, le chômage explose les baromètres, les pauvres s’alignent. Mais les banquiers respirent. Se frottent les mains. Ça rit sous cape. A peine remis de leurs « émotions », les banquiers repartent de plus belles, spéculent dare-dare sur le dos des états et de la Grèce en particulier. La Grèce s’écroule. Mauvaise gestion, sûrement. Les 27 états européens réunis riboulent des yeux. L’air sévère, les premiers de la classe, critiquent fermement les grecs pour leur mauvaise gestion, mais ne pipent pas mot sur la voyoucratie banquière.
Qui seront les prochaines victimes ? L’Espagne ? Le Portugal ?…
remi begouen
15 février, 2010 à 8:47
Les contours de l’île Tomé je connais ainsi que ceux d’îles en Grèce. C’est beau. Les contours de Vancouver je connais pas, mais je sais que c’est beau et à l’abri des vents, et que, malgré son joli nom français, il y a plutôt des chinois, des indiens (d’Asie beaucoup plus que d’Amérique!) et des…grecs que d’Anglais et de Français. Et puis la compétition sur neige, sous la pluie…M’enfin ? A part ça, oui, mon petit bouquin est paru, merci de ton premier écho, ‘monsieur le préfacier!’…
Eric
15 février, 2010 à 9:25
« Tout ça est d’une grande décadence. Des penseurs au rabais vous vantant la futilité comme mode de vie. Le public fait la claque et le vendeur propose sa came. Qui un livre. Qui un film. Qui une pièce de théâtre ou un programme politique. Dans tous les cas, une justification. On ne peut pas avoir tout le temps l’air grave et concentré. Cela serait ennuyeux un monde ainsi formaté. Du piment dans la vie, que diable ! Rions ensemble. Même si nous rions bêtement. Ceux qui n’ont rien d’autre à faire ou qui n’ont aucune idée de ce qu’ils pourraient faire pour bien s’amuser trouvent cela fort épatant. Cela est certes fort dégradant. »
Oui: divertissement, tout est divertissement (on n’y échappe pas) _ mais tout dépend de la qualité de ce divertissement. Bien sûr, il faut un peu de tout, du léger et du plus sérieux, du plus profond. Mais, parfois, comme tu le dis, la télé descend trop bas! Et s’il n’y avait que BHL…
lediazec
15 février, 2010 à 9:44
@ Eric. Ceux qui me connaissent le savent. Je passe un temps important à déconner, à faire du saugrenu un art de vivre, mais, dans le cas qui nous occupe, la chose devient pandémique. Toute cette ambiance « joyeuse » me fait penser à l’ambiance qui régnait en Europe dans les années 30 à l’approche de la seconde guerre mondiale : « bonjour madame la marquise… » et tintouin !
Sinon, Pierre Dac, Desproges, Francis Blanche et pas mal d’autres…
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b.mode
15 février, 2010 à 11:03
Et l’autre qui avait tenté de nous faire croire qu’il avait moralisé le capitalisme. Ce sont les mêmes qui spéculent sur la Grèce et autres pays endettés qui spéculaient sur les subprimes…
laetSgo
15 février, 2010 à 19:06
Chouette, un billet sur Lewis Carroll ! J’avais justement envie de passer de l’autre côté du miroir après mes lectures déprimantes de ce jour (sauf Dune, hein ! mais c’est pas pareil)
bon, je clique le lire et je reviens lire la suite de ce billet !
laetSgo
15 février, 2010 à 19:24
j’ai commenté (Carroll), je reviens…
Donc, en parlant de la Grèce, je suis de plus en plus convaincue qu’ »on » va en faire un exemple pour le reste de l’Europe…du style, marchez au pas et fermez vos gueules, sinon…!!! Je prends les paris ! Lors de sa prochaine intervention, ou via un de ses sbires, Sarko va nous expliquer qu’il faut à tout prix réduire le déficit de la France (là, je suis d’accord) et pour ce faire, reculer l’âge de la retraite (entre autres mesures) et là, je suis pas du tout d’accord !
va falloir que je ponde un deuxième billet sur le sujet…quand on aura un peu plus de recul !
b.mode
15 février, 2010 à 19:48
En pleine Drôle de Guerre, cette chanson était le morceau de bravoure de Maurice Chevalier pendant ses tournées dans le cadre du théâtre aux armées. Dans la salle, c’était du délire. Chanson à la gloire du soldat français héritier des héros de la grande guerre, les paroles ont des échos de pacifisme: on sent que les français réunis dans l’armée malgré eux, se seraient bien passés d’une nouvelle aventure militaire, quelle qu’en soit la raison profonde…
Le Colonel était dans la finance
Le Commandant était dans l’industrie
Le Capitaine était dans l’assurance
Et le Lieut’nant était dans l’épicerie
Le juteux était huissier d’la Banque de France
Le Sergent était boulanger pâtissier
Le Caporal était dans l’ignorance
Et l’deuxième classe était rentier !
Et tout ça fait
D’excellents français
D’excellents soldats
Qui marchent au pas
Ils n’en avaient plus l’habitude
Mais, tout comm’ la bicyclette
Ça n’s'oublie pas !
Et tout ces gaillards
Qui pour la plupart
Ont des goss’s qui ont leur certificat d’études
Oui tous ces brav’s gens
Sont partis chicment
Pour faire tout comme jadis
C’que leurs pèr’s ont fait pour leurs fils
Le Colonel avait de l’albumine
Le Commandant souffrait du gros colon
La Capitaine avait mauvaise mine
Et le Lieut’nant avait des ganglions
Le juteux souffrait de coliqu’s néphrétiques
Le Sergent avait le polype atrophié
La Caporal un coryza chronique
Et l’deuxième classe des cors aux pieds.
Et tout ça fait
D’excellents français
D’excellents soldats
Qui marchent au pas
Oubliant dans cette aventure
Qu’ils étaient douillets, fragil’s et délicats
Et tout ces gaillards
Qui pour la plupart
Prenaient des cachets, des goutt’s et des mixtures
Les v’là bien portants
Tout comme à vingt ans
D’où vient ce miracle là ?
Mais du pinard et du tabac !
Le Colonel était d’l'Action Française
Le Commandant était un modéré
Le Capitaine était pour les diocèses
Et le lieutenant boulottait du curé
Le juteux était un fervent extrémiste
Le Sergent un socialiste convaincu
Le Caporal inscrit sur toute les listes
Et l’deuxième classe au PMU !
Et tout ça fait
D’excellents français
D’excellents soldats
Qui marchent au pas
En pensant que la République
C’est encore le meilleur régime ici-bas.
Et tout ces gaillards
Qui pour la plupart
N’étaient pas tous du même avis politique
Les v’là tous d’accord
Quelque soit leur sort
Ils désirent désormais
Qu’on leur fiche une bonne fois la Paix !
lediazec
15 février, 2010 à 19:58
@ LaetSgo. Dune c’est génial. Je considère cette série comme l’un des grands monuments littéraires du 20ème siècle. Une splendeur.
@ Bernard. Superbe illustration ! Tellement vraie. Mais tellement vraie !
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des pas perdus
15 février, 2010 à 20:17
Les 1ères victimes ? Mais c’est nous… peuples européens car la Grèce est un formidable épouvantail que les gouvernements de toute obédience de l’UE vont agiter pour imposer de nouvelles réformes régressives….
laetSgo
15 février, 2010 à 22:44
@lediazec dans la version Ailleurs et Demain, le 2ème tome p1068-1069 (c la maison des mères) : le passage sur la démocratie
« les gens ne votent pas, leur instinct leur dit que ça ne sert à rien »
» les démagogues sont aisés à identifier. Ils parlent en faisant de grands gestes rythmés comme s’ils prêchaient du haut d’une chaire »
» il suffit de créer un système où la plupart des gens soient mécontents, de manière confuse, ou en profondeur »
« Agitez la belle petite cape. Ils chargent et ils sont tous désorientés quand il n’y a plus de matador derrière. L’électorat est dupé comme le taureau. Aux élections suivantes, il y aura encore un peu moins de gens à utiliser leur vote intelligemment »
ça fait un écho très sonore à ce que nous vivons actuellement, don’t you think ?
lapecnaude
16 février, 2010 à 0:32
En ce moment le papier supporte tout, même l’encre.
En ce moment les ondes transportent tout même le néant.
Quel que soit le support, quelle que soit la question, la réponse s’y trouve,
Suffit de la penser.