L’actualité n’est pas faite que de politique, elle est aussi poésie. Gérard Lambert-Ullmann est libraire à Saint-Nazaire. Il est un ami de longue date de Rémi Begouen. C’est une actualité douloureuse qui le conduit sur Ruminances pour s’exprimer sur la mort du poète et ami René Rougerie.
« Qu’il parle de son métier ou qu’il défende les droits d’un homme, René Rougerie s’investit tout entier dans une langue juste et savoureuse qui porte sa conviction, sa colère, sa détermination et son amour des choses bien faites, bien dites.
Défendant la poésie, il défend le langage le plus pur, au plus près de l’expression intérieure et de la vérité.
Lucide, et peut-être même pessimiste de nature, il fait confiance à la parole lorsque celle-ci sourd de l’être incarné qui cherche, par-delà le poids des mots, à traduire les jours et le déchirement de sa condition. »
Hélène Cadou – Un bâtisseur en poésie
On dira de lui qu’en « infatigable défenseur de la poésie française » il a édité, en plus de soixante ans, près de 1500 ouvrages. On citera Boris Vian, Max Jacob, René Guy Cadou, Joë Bousquet, Saint Pol Roux. On ne se souciera pas d’afficher les noms de bien d’autres qui ne parlent qu’aux vrais amoureux de la poésie : Baudry, Guénane, Spilmont… On rappellera le constat de Jean L’Anselme (dont il fut aussi l’éditeur) : « Rougerie, c’est, en poésie, deux fois Gallimard aussi bien pour le nombre de titres publiés à l’année que pour l’étendue de leur diffusion » (Rougerie-Cœur-De-Lion).
Mais ce dont le libraire se souviendra c’est du petit monsieur discret qui, descendant de son auto antédiluvienne, avec son cartable tanné, entrait dans la librairie pour présenter ses livres merveilleux avec une douceur si convaincante et un amour tellement évident qu’on ne pouvait pas lui répondre que la poésie se vend mal, très mal, et que la « trésorerie » des libraires souffre de s’y intéresser (Ce qu’il savait évidemment) et qu’on se retrouvait à chaque fois chargé d’une pleine brassée de ces volumes sans fioritures, comme d’un bouquet de lilas fraichement cueilli.
Alors, bien sûr, on les lisait, et on les trouvait beaux. Et on regardait, muet d’admiration, le petit monsieur si tenace et si modeste repartir vers sa vieille typo (Une « Marinoni » dont le nom caresse, pour le libraire, d’autres souvenirs) pour en tirer d’autres chants.
On n’imaginait pas ne plus le revoir. Il semblait évident que, de toute éternité, il continuerait à pousser notre porte et à nous régaler de ses découvertes. Et on ne se trompait peut être pas entièrement car, certes il vient de mourir, tirant sa révérence alors qu’à 84 ans il présentait encore à un libraire ses dernières productions (dont la très bienvenue réédition de l’œuvre poétique de Xavier Grall) mais Rougerie n’est pas mort. Rougerie continue avec son fils Olivier, aussi doux et gentil, et aussi passionné. Et les titres rouges sur blanc n’ont pas fini de nous tenter. Rougerie est toujours là. Tant mieux.
Gérard Lambert-Ullmann
Librairie Voix au chapitre
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Merci à Vidéo Libre d’Armor
babelouest
18 mars, 2010 à 4:20
Honte à moi, je ne pense pas avoir un seul livre des Editions Rougerie. Je n’ai plus la possibilité et le temps, comme il y a quarante ans, d’éplucher une à une chaque semaine les nouveautés souvent placées très haut dans un coin de la librairie. C’était à Saint Maixent l’École, une ville qui ne m’a plus revu depuis plus de 35 ans. C’était un autre temps, une autre façon de vivre. Rentrer le soir pour lire ou relire la Légende des Siècles ou les Fleurs du Mal, les Châtiments ou Des Rayons et des Ombres, c’était autrement plus gratifiant que se gaver de télévision, que je ne possédais pas.
Quant à la petite ville où ces éditions sont implantées, elle rappelle les noms prestigieux des Rochechouard-Mortemart, dont la plus célèbre dame fut la marquise de Montespan.
lediazec
18 mars, 2010 à 7:48
Je félicite Gérard pour ce papier remarquable qui, je l’espère, précédera bien d’autres.
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b.mode
18 mars, 2010 à 8:10
Bel hommage à un homme bien loin de l’état d’esprit des monstres dont nous parlons souvent ici dans ces colonnes…
gill68
18 mars, 2010 à 9:04
Très bel hommage.
Monsieur Rougerie a aussi écrit deux livres, dont les titres et leur sujet (la Résistance et le Livre) évoquent à merveille sa personnalité, et qu’il faudra rééditer.
Henri Nanot, un amour de liberté, éditions Lucien Souny , 1988.
La fête des ânes ou la mise à mort du livre, éditions Rougerie, 1985.
remi begouen
18 mars, 2010 à 9:30
C’est déja ça, Babelouest d’avouer ta honte ! Tu sais ce qu’il te reste à faire : fermer (ou jeter!) ta télé et lire des poèmes, qu’ils soient édités à Rougerie ou ailleurs… Moi qui n’ai jamais eu de télé, ton aveu renforce ma détermination à ne jamais en avoir. Il paraît que je ‘perds des bons trucs’. Peut-être. Mais il est sûr et certain que je gagne beaucoup plus, comme de continuer depuis cinquante ans à lire – et de moins en moins écrire – des poèmes… Je suis heureux que le fils Olivier continue Rougerie, j’y retourne voir. Et merci Gérard de ton beau billet!
b.mode
18 mars, 2010 à 9:37
Merci à Gil68 pour votre lien. Je rajoute de suite la vidéo présente sur votre site.
remi begouen
19 mars, 2010 à 10:12
Merci B.mode de la très émouvante vidéo. L’amitié de Velter et Rougerie fait chaud au coeur de tous les amoureux de la poésie!
françoise lison-leroy
19 mars, 2010 à 23:29
En Belgique aussi, l’émotion est grande suite au décès de René Rougerie. C’est incroyable ce que cet homme, très aimé, a apporté à la poésie de notre pays. Sa liberté d’éditeur a rejoint nos chemins. Nous lui en sommes reconnaissants.