En ce premier mai, je me suis soustrait au vacarme et à la fureur du monde extérieur. Je n’ai rien fait. Sans avoir mal à l’âme, j’ai tourné en rond. C’est très épuisant, le tourniquet. Ne voyez là la moindre allusion au tourniquet japonais, position amoureuse conduisant au bonheur suprême, que certains mauvais esprits s’empresseront de souligner.
Ma pensée est d’un ordre différent, même si, comme vous, je ne suis pas insensible à l’idée du bonheur suprême. J’ai vécu dans une semi-somnolence. Loin et pourtant si près.
Je n’oublie pas que le premier mai est une date de sang et d’espoir. C’est le 1er mai 1886 qu’une partie des travailleurs américains obtiennent la journée de huit heures. Le 3 mai de cette même année, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes qui n’ont pas encore obtenu satisfaction. Lorsque celle-ci se disperse, il reste encore quelques 200 manifestants et autant de policiers. Une bombe explose faisant quinze morts parmi les policiers. C’est la curée ! Huit syndicalistes anarchistes sont arrêtés et jugés. Parmi eux, cinq sont pendus sans que des preuves concluantes aient été présentées par l’accusation. Oeil pour oeil dent pour dent ! A défaut de gagner, le patronat américain donne aux ouvriers du monde le moyen d’inscrire dans leurs revendications une priorité : la journée de huit heures. Il faudra des années de luttes, de la sueur et du sang, pour que cela devienne réalité. Les dernières paroles de l’un des condamnés, Augustin Spies furent : «Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui».
Autres temps, autres mœurs, mais toujours une constante : profit, inconscience et brutalité d’un système néfaste, toujours le même depuis 1886. Qu’il s’agisse de revendications salariales, de conditions de travail, de retraites ou de préservation de la nature et de l’équilibre des espèces vivant sur terre, une seule donnée : l’appétit du gain.
L’explosion de la plate-forme pétrolière dans le Golfe du Mexique et la nappe de pétrole qui atteint les côtes de la Louisiane, fait méditer sur la puissance des bombes que l’humain utilise pour le plaisir criminel de quelques-uns. Pas besoin d’évoquer la guerre pour savoir que la paix dans ce système c’est encore et toujours la guerre. Nul n’échappe à la logique implacable d’un ordre corrompu.
Cette marée noire d’une ampleur encore mal évaluée mais dont la proportion dépasse tout ce que nous avons connu jusqu’à ce jour, est une catastrophe économique et écologique sans précédent. Un acte criminel involontaire, nous dit-on, mais où est la différence entre crime et accident dans un contexte outrancier ? Si les courants le confirment l’écosystème de la région, très fragile, va connaître la période la plus noire de toute son histoire.
La matière visqueuse qui émerge à raison de 800 000 litres/jour pourrait augmenter considérablement dans les jours à venir. Malgré les « moyens gigantesques » mis en œuvre, rien ne nous permet d’entretenir le moindre espoir. Toutes les opérations de colmatage semblent bien ridicules devant la puissance du jet. Ni l’encerclement de la tache, ni l’armada de fonctionnaires et de bateaux dépêchée sur place ne semble en mesure de pouvoir circonscrire une nappe évaluée, selon des sources satellitaires, à 9 000 km² ! Et cela n’est qu’un début !
Un matériel « défectueux » serait à l’origine de ce cauchemar. Quelle importance, puisque le cauchemar est là et qu’il découle d’une constante chez les grands exploitants : le profit. Toujours plus de profit. Jusqu’au point final de toute vie.
Les dirigeants de cette planète sont des monstres.
Pour Mark Floegel, responsable de Greenpeace la chose « pourrait devenir un cauchemar ». Ça l’est déjà ! Depuis longtemps. Il s’attend « à ce que très très peu de pétrole soit récupéré. ». Pas grave, les marais serviront d’éponge ! La terre a l’habitude de tout absorber. Tant pis pour la faune marine, oiseaux, tortues marines, dauphins, lamantins et j’en passe…
Comme dans Soleil Vert, à défaut de jouir du paysage, au seuil de son dernier souffle, l’humain aura droit aux images de ce que fut la vie.
remi begouen
3 mai, 2010 à 6:02
lediazec, je t’ai envoyé hier un billet sur le 1°mai avec la mention : ‘fais en ce que tu veux’. Si tu le veux bien, je t’invite à le faire paraître ici en commentaire au tien, excellent!
babelouest
3 mai, 2010 à 6:23
Tu fais bien de signaler Soleil Vert. Au train où les choses s’accélèrent dans le mauvais sens du terme, on pourrait bien parvenir à de pareilles aberrations. Coïncidence, il y a quelques jours j’avais émis le souhait, dans un billet que je ne retrouve pas, de mettre le PROFIT au ban des nations, car c’est lui et ses adorateurs qui nous tuent.
Quant à cette frange de charognards qui font la peau de notre planète sans remords et sans ciller, ô combien il faudrait réussir à les rassembler dans un centre psychiatrique pour les traiter ! Quitte à ce que ce centre finisse comme l’île de de la Barbade, dans not’petit bouquin Gaïa.
b.mode
3 mai, 2010 à 7:43
Voici ce qu’était le bayou avant… http://www.chez-pierre.net/f_lo_bay.php
Merci Rodo pour ce beau texte
lediazec
3 mai, 2010 à 7:49
@ Rémi. Je n’ai pas reçu ton mail. Si tu l’as conservé, poste-le ici sous forme de commentaire.
@ Bernard. Merci pour ce lien, je vais lui trouver une place dans la bafouille. Voilà qui est fait.
@ Babel. Soleil Vert est un film qui m’a bien marqué. Exemplaire à tout point de vue.
Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence
h16
3 mai, 2010 à 8:55
« 800 000 mille litres/jour », heu ça fait beaucoup. 800 mille ou 800.000, c’est déjà trop, soit
clomani
3 mai, 2010 à 9:38
Moi aussi, « Soleil Vert » m’a marquée…
J’y pense beaucoup, depuis quelques temps… et je trouve que les télés (enfin, celle qui en a les droits de diff.) devraient le diffuser en ce moment.
C’est le bon moment.
J’imagine qu’ils (les directeurs de programmes des télés françaises) préfèrent endormir le peuple en leur fourgant des « camping » « Koh Lanta » et « séducteurs en folie » !
Mais qu’ont-ils fait de notre monde ?
b.mode
3 mai, 2010 à 10:01
@h16 corrigé ! et merci mais comme tu dis c’est déjà beaucoup…
babelouest
3 mai, 2010 à 10:07
Pour ceux qui sont intéressés, je viens de repasser commande pour quelques exemplaires de Gaïa. Si des personnes le désirent, je pourrai le leur envoyer (compter 20€ de participation aux frais, à moins que ce ne soit quelqu’un parmi vous) quand je les aurai reçus. Il faut compter un mois environ.
clarky
3 mai, 2010 à 10:53
et ça c’est rien pour continuer dans le cynisme, quand on sait que sarah palin ou les bush voulaient, et vont assurément dans un futur très proche, forer dans des endroits devenus accessibles du fait de la fonte des glaces et de la banquise.
finalement, on fabrique gentiment des bombes à retardement pour flinguer au petit bonheur la chance ce qui ne nous a jamais appartenu et on s’indigne quand une belle saloperie vient dégueuler sa mélasse visqueuse et défigurer un écosystème pour au moins 10 bonnes années ??!!??
remi begouen
3 mai, 2010 à 11:42
Voilà le mail que je destinais à ‘lediazec’ le 2 mai et qu’il n’a jamais reçu. Je l’envoie donc en ‘commentaire’ au bel article sur le sujet, quoique je l’ai écrit avant d’avoir lu notre artiste plumitif !
1°MAI… FETE DES TRAVAILLEURS ?
Je ne sais pas pour vous, mais ce soir de ‘notre fête’ j’ai pas trop le moral, malgré que, localement ce soit bien passé, même chaleureusement. Mais je suis aussi citoyen du monde et mon cœur est avec les camarades grecs et ceux de la Nouvelle-Orléans. Les premiers soumis (??) à l’ouragan des déchets des spéculateurs financiers… et les seconds soumis (??) à une variante de même engeance : une épouvantable marée noire due au ‘j’m’en foutisme’ des spéculateurs du profit pétrolier.
Je ne vais pas vous ‘polluer le moral’, du moins essayer de l’éviter. Avec en tête ce récent rappel de Babelouest d’une pensée du jeune-vieux poète-philosophe-mathématicien-etc. Gaston Bachelard disant ‘Il faut être sérieux comme un enfant rêveur’.
Oui je suis sérieux comme cet enfant grec qui fut – dit Victor Hugo je crois – héroïque figure de l’indépendance de la Grèce contre la tutelle Turque. Oui je suis sérieux comme cet enfant de Louisiane aussi anonyme qui osa se révolter contre l’esclavage, à la même époque…
Je ne sais pas pour vous, mais moi je comprends Arthur Rimbaud : ‘On n’est pas sérieux quand on a 17 ans’. A 7 ans, j’étais très sérieux (et rêveur), pas du tout dix ans plus tard, comme lui. Puis il m’advint le pire : ‘se prendre au sérieux’… sans rêve, outrageusement remplacé par ‘la discipline du parti’. Cela n’a pas trop duré mais a fait des dégâts considérables, après ceux de la discipline militaire.
Ensuite, à chaque 1°mai, j’ai fait ‘la fête des travailleurs’ – et bien d’autres, rassurez-vous…
J’ai souvenir d’un lâcher de pigeons voyageurs si beau, à St-Nazaire il y a 15 ou 20 ans, en clôture du meeting du 1°mai, que cela m’a (presque) réconcilié avec la CGT… qui s’était prise à rêver sans doute ! J’ai bien d’autres souvenirs de 1°mai, plus confus, dont je ne vais pas ici vous encombrer : à moi d’y voir plus clair. Ce qui est clair, chaque année, c’est l’INTERNATIONALE de nos luttes prolétariennes. Les petites (ou grandes) histoires locales, régionales, nationales, européennes, ne sont rien par rapport à la fête mondiale des travailleurs… imposée de haute lutte, d’ailleurs.
Anecdote d’aujourd’hui : Ma pancarte ventrale proclamait simplement ‘Fête des Travailleurs, actifs, chômeurs, retraités, CONTRE LE TRAVAIL (en très gros !) qui engraisse les rentiers capitalistes et les politiciens complices’. Cela a été apprécié, sauf par un vieux (de ma génération, pas de ma mentalité !) qui a protesté : ‘On est ici POUR le travail’… J’ai essayé quelques instants de lui faire admettre qu’il y avait ‘travail et travail’, selon que ce soit pour soi ou pour un rentier. Puis, habitué à la ‘langue de bois’ de ce genre de lobotomisé du bulbe, je me suis éloigné en haussant les épaules. Mais une femme qui était avec moi (genre ‘Desdémone’…) s’est un temps attardée à polémiquer… avant d’abandonner la joute… : Je lui ai confié plus tard que si, il y a 20 ans, j’avais arboré un tel slogan, il m’aurait été arraché, ou je me serais fait casser la gueule par ces braves cégétistes…
Revenons à l’International. Lorsque j’étais (pour de vrai) ‘sérieux enfant rêveur’, c’était en Egypte dans une société très très cosmopolite et ouvrière, au canal de Suez. Les ‘agitations’ syndicales et politiques étaient notre lot, presqu’un berceau. Lorsqu’il a bien fallu que je quitte et l’enfance et l’Egypte, cela a vite été pour plonger dans le chaudron d’enfer, le piège, de la guerre d’Algérie… Mais, grâce à cette première culture j’ai mieux résisté que d’autres et je me suis ouvert, en plus des justes révolutions nationalistes et sociales arabes, à celles d’Amérique Latine, de Chine et surtout du Vietnam. Ce n’est peut-être qu’en 1981, avec Mitterrand, que j’ai commencé à être ‘franchouillard’, malgré mes engagements militants d’ouvrier (dans des usines où retrouver le cosmopolitisme d’hier).
Et bien sûr, j’ai vite déchanté… et reste désenchanté de la gauche-caviar-franchouillarde…
Voilà, je pourrais vous un servir un wagon, de tout ça. D’ailleurs je l’ai plus ou moins fait dans divers écrits, peu importe. Il importe que le 1°mai reste la fête des Travailleurs contre celle ‘du Travail’ (celle de Pétain !), et que cette année, nos camarades de Grèce et de Louisiane ne sont pas à la fête.
Et il importe de garder le ‘sérieux de l’enfant rêveur’ au cœur. J’en ai 71, c’est presque pareil que les 17 qu’évoquait le poète. J’aviserai à 77 ans de capituler ou pas encore…
lapecnaude
3 mai, 2010 à 14:50
On n’aurait jamais dû leur vendre la Louisiane !
lapecnaude
3 mai, 2010 à 16:30
L’âge de la retraite en Grèce était de 53 ans ??????
babelouest
3 mai, 2010 à 18:34
L’âge de la retraite en Grèce était de 53 ans ??????
Bah oui, grosse erreur démagogique des ministères précédents !
b.mode
3 mai, 2010 à 18:54
bah oui ! mais ça ne me choque pas ! L’idée de la punition par le travail ne m’a jamais séduit !
Christophe Certain
4 mai, 2010 à 8:34
C’est vrai que la période est aux idées noires… Dans tous les sens du terme. Pour la marée du même nom elle est bien évidemment dûe aux économies réalisées par BP pour ne pas avoir pris en compte ce genre de scénario.
Le schéma global de ces gens est : accaparons tout ce que nous pouvons prendre et détruisons le reste (ou laissons-le détruire) de façon à ce que ça ne puisse profiter à personne. Dans la mesure où les industriels manipulent chaque jour des substances capables de détruire la planète, chaque scénario qui ne prend pas en compte les risques majeurs peut être considéré comme une volonté délibérée : « on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs ».
Déjà l’invraisemblable cynisme de BP est à l’oeuvre en faisant signer aux pêcheurs des contrats qui leur permettront peut-être de travailler pour BP au nettoyage (sans toutefois aucune garantie de quoi que ce soit) mais qui leur interdit déjà de porter plainte contre BP, alors que leur zone de pêche est foutue pour au moins 10 ans comme ça été le cas en Bretagne. Et on ne parle même pas de la destruction de la nature.
Les journalistes piaffent déjà d’impatience en attendant la catastrophe, ça va être le feuilleton du printemps.
En attendant on nous raconte aussi la belle histoire de ce terroriste qui fait fumer sa voiture piégée pour qu’on puisse mieux la repérer, et qui attend 3 jours pour quitter le pays, histoire qu’on ait le temps de retrouver sa trace, et se rend directement à l’aéroport, l’endroit où il est sûr à 100% de se faire gauler. Attentat déjà revendiqué par un taliban que tout le monde croyait mort. C’est vrai que c’est plus pratique de faire parler les morts, on ne risque pas d’être contredit par l’intéressé. Les scénaristes américains ont l’habitude d’écrire de belles histoires, mais dont la crédibilité n’est pas la vertu principale. Je suis curieux de savoir à quelle nouvelle saloperie va aboutir celle-là.
clomani
4 mai, 2010 à 9:12
Bravo Christophe… enfin, ce que tu écris est terrible mais ça me paraît être les bonnes questions et le bon sens de la réflexion. Je suis un peu plombée par tout ça d’ailleurs…