Je n’aime pas les « prix », ces livres certainement bons, qui ne sont que le fruit de tractations entre grands éditeurs. Ils me semblent toujours entachés de la suspicion du bakchich. Mais, voyant cette fois-ci en rayon librairie d’un petit supermarché un prix Goncourt (vieux de 2 ans quand même) en édition Folio à 6 euros 35, je me suis dit que je pouvais me risquer, d’autant plus que cet auteur est un atypique, afghan méconnu du grand public (peut-être plus maintenant). Son livre est un texte intimiste au féminin écrit par un homme, arabe en plus.
On parle beaucoup de femmes soumises, dominées, esclavagées, c’est une de ces femmes qui parle, seule avec ses deux fillettes et son mari blessé, grabataire, inconscient. Il n’y a personne d’autre qu’elle pour lui donner des soins et si peu, il ne bouge pas, il ne parle pas, il respire. Elle vit de ses respirations, a chacune d’elle elle égrène un grain de son chapelet de prière en prononçant un des 99 noms du Prophète Allah. 99 fois par jour et pendant 99 jours a dit le mollah qui vient chaque jour contrôler entre ses appels à la prière. La vie de cette femme est rythmée par les respirations de son mari, les repas des enfants, les soins, et les prières du muezzin… par la guerre aussi, les incursions des « autres », ceux du camp de son mari et ceux d’en face, elle va se cacher après l’avoir dissimulé dans un coin, et elle revient, et recommence.
Elle lui parle, elle se parle, elle finit par se convaincre que la vie de son époux dépend de ses secrets, de ce qu’elle n’a jamais dit, Nis surtout à lui, alors elle raconte. Sa jeunesse, ses désirs, ses désillusions de femme et d’épouse sans amour, elle lui raconte tout, elle essaie de le faire revivre. Elle croit en Dieu mais finit par lui poser des questions, long soliloque qui la mène à découvrir le dernier nom de Dieu, Syngué Sabour, pierre de patience, la Kahbah, la Pierre Noire de la Mecque auprès de laquelle tous les Croyants vont confier leurs péchés pour se faire absoudre. Syngué Sabour sera SA pierre de rédemption et de résurrection.
C’est la guerre, avec tous ses aléas, les viols, les vols (ne lui a-t-on pas volé son Coran ?), les tueries, qu’importe par qui, elle ne le sait, elle maintien son mari en vie, c’est son devoir d’épouse. Son introspection la mènera encore plus loin que son devoir.
Elle en dit tant et tant, que vous voudrez lire ce livre si vous ne l’avez lu, il vous livre l’âme d’une femme toute simple dans sa complexité et dans sa crue nudité.
On ne lit pas ce livre, on finit par vivre avec cette femme.
babelouest
29 mai, 2010 à 6:08
Merci Lapecnaude, intéressant bon sang ! La vraie vie d’une vraie dame, en somme. Elle a une chance, une seule : elle n’a pas en plus à devoir argumenter nuit et jour face à quelqu’un qui n’a plus, bien souvent, la notion de ce qui se passe autour de lui, et exige de voir, faire ou faire accomplir des choses impossibles.
Je vais m’intéresser à ce livre.
remi begouen
29 mai, 2010 à 9:02
Oui, j’avais déja eu envie de lire cet ouvrage si particulier, merci Lapecnaude d’en faire un bel article. Je relève 2 erreurs mineures dans tes propos : l’auteur n’est pas ‘arabe’ mais afghan (il précise dans la vidéo qu’il parle persan) et il n’y a pas ‘les 99 noms du prophète Allah’, mais ceux de Dieu (=Allah) ou de son prophète (=Mohammed)!…
lediazec
29 mai, 2010 à 9:16
Comme toi Françoise, j’ai du mal avec les prix littéraires. Hormis celui de Jean-Louis Bory, « mon village à l’heure allemande », je ne crois pas en avoir lu beaucoup.
Ta note de lecture donne envie.
Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence
clomani
29 mai, 2010 à 9:46
Je l’ai lu, Syngué Sabour… Et oui, ça vaut le détour.
J’ai l’impression d’avoir mieux compris ensuite cette jeune femme afghane que je connais qui tient un petit commerce dans le 18e. A 35 ans, elle a déjà tout vécu : née à Kaboul, famille tadjick, mariée par ses parents à un cousin du père à l’âge de 14 ans. Elle parle de feu son vieux mari avec beaucoup de tendresse… Meilleure amie tuée par un obus à ses côtés quand elles revenaient de l’école. Vieux mari décapité devant son père, (juge à la Haute Cour de Kaboul)par les Talibans. Emigrée en France avec sa famille sans le père, enfermé dans une cage par ses geôliers. A l’arrivée des Américains le père a pu s’échapper de sa cage : il ne pouvait plus marcher à force d’être resté plié : muscles atrophiés.
Remariée à un Pachtoune (qui était dans la classe de Rahimi au lycée à Paris), elle remercie Sarkozy de vouloir débarrasser l’Afghanistan des Talibans, retourne à Kaboul de temps à autres pour son commerce, et essaie en vain d’avoir un enfant. La dernière fois que je l’ai vue, elle se préparait pour une F.I.V. Elle, elle est sortie de l’enfer et elle vit à pleines dents.
Mais ce bouquin est puissant. Il se dévore.
b.mode
29 mai, 2010 à 10:52
La pecnaude ou l’art de donner envie de lire !
lediazec
29 mai, 2010 à 11:13
Je viens tout juste de me procurer le bouquin ! Vais lire cet aprèm.
Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence
Didier Goux
29 mai, 2010 à 11:35
Mon dernier Goncourt remonte à 1919 : À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Je crois que je vais en rester là…
lapecnaude
29 mai, 2010 à 12:21
@ Rémi – exact Rémi, tu as raison ce sont le 99 noms-de-dieu qu’elle doit dire ! en plus, je dois avoir fais un rapport peut-être inexact dans l’esprit de l’auteur sur l’origine de la pierre. Mais entre celle qu’il explique et l’histoire de la Pierre Noire il n’y a pas de différence, c’est Dieu qui les a envoyées.
Je n’aime pas ce type, du tout, du tout, du tout, quelque chose me hérisse en lui, mais ce que j’ai voulu dire c’est que c’est un musulman (excuses moi le terme arabe mieux compris des gens de ma génération et tu sais pourquoi) qui a écrit « pour » une femme. Il y a quelque chose de malsain, d’enragé dans sa façon d’écrire en fin de bouquin.
clarky
29 mai, 2010 à 15:40
des deux choix de lecture, j’ai fait celui de lire ton article françoise, et bien m’en a pris puisque tes mots sont simples et directs, et ta façon d’écrire plaisante.
mais les histoires de maladies, dépendance sans la moindre cuisine, les soins et la mort en filigrane, ben c’est bon, je donne déjà suffisamment en ce moment pour être réceptif à ce genre de lecture, même si y’a pas que ça dans le bouquin…
quant aux prix littéraires, le dernier (que j’ai jamais pu finir tant ça m’a gavé d’une force) c’était le rocher de tanios de maalouf, 92 ou 93 je sais plus bien, je préfère encore mes polars bien noirs où les psychopathes copinent avec des flics déglingués !
ZapPow
29 mai, 2010 à 15:49
@ Lapecnaude
Pourquoi vouloir dire que c’est un musulman ? Lui ne se définit pas ainsi, et voici ce qu’il dit :
lapecnaude
29 mai, 2010 à 17:20
à ZapPow : – Qui a dit : tout n’est qu’apparence ?
remi begouen
29 mai, 2010 à 18:26
Après m’être bien gratté la tête, la mémoire m’est revenue, sinon le bouquin, que j’ai dû ‘prêter sans retour’, parmi d’autres. Il s’agit de ‘la porte du soleil’ d’Elias Khouri, écrivain libanais (mais palestinien en l’occurence), édité en 2002, je crois, en France. C’est une métaphore du drame de la Palestine, ‘plongée dans le coma’, comme le héros du livre…
Il y a donc là une analogie avec le thème du romancier Rahimi, ce qui n’enlève rien à la qualité de ce roman (que je n’ai pas encore lu). Mais je recommande chaudement ce livre sur la Palestine en vie (cf.l’opération bateaux pour Gaza, en cours)!
Au fait, en face, le comateux Sharon est encore en vie!?
remi begouen
29 mai, 2010 à 18:32
‘La porte du soleil’ d’Elias Khouri a été édite par Actes Sud /le monde diplomatique, en 2002. C’est un ‘thriller politique’ exceptionnel !
clomani
29 mai, 2010 à 18:47
oooh, je note, Rémi… dès lundi je fonce à la librairie…. merci
b.mode
29 mai, 2010 à 18:53
En tout état de cause, j’espère vous voir tous au pique nique de christophe le 26 juin !
lapecnaude
29 mai, 2010 à 19:14
@ Clarky – j’adore les thrillers ou des flics psychopathes combattent des vilains paranos !
remi begouen
29 mai, 2010 à 20:28
Oôô??… Il est possible que, sous l’influence du bon Clarky et de la bonne Lapecnaude, je me sois fourvoyé, Clomani, à qualifier ‘La porte du soleil’ de thriller politique… ou alors les grandes pièces de Shakespeare le sont aussi : et je le crois !
clarky
30 mai, 2010 à 0:09
@françoise putain, je devrais te plaire alors biscotte je crois bien que je suis un peu des deux à la fois, enfin surtout psychopathe
sinon, me languis de voir le shutter island de scorcese, j’avais lu le bouquin de lehane et m’étais franchement régalé, je sais c’est con mais j’adore cet écrivain de polars.
@bernard j’aurais vraiment aimé venir mais juin sera le temps des opérations du coeur, la vache quelqu’un m’a dit un jour que la vieillesse était un naufrage, je crois bien que je ne suis pas loin de sombrer avec mes vieux !
bises à vous.