BENDA BILILI ! Le point d’exclamation a toute son importance parce que, Benda Bilili, c’est à la fois un documentaire qui nous remet droit dans nos baskets et en même temps une leçon de bonheur… comme un « coup de fouet » énergisant qu’on se prend en pleine tronche du début à la fin.
« Staff Benda Bilili » est un groupe de handicapés congolais qui fait de la musique, dans les rues de Kinshasa. Kinshasa, en bonne capitale africaine, abandonne à la rue ses « marginaux » et les laisse se débrouiller. Un enfant handicapé, c’est une gêne pour toute la famille, c’est un enfant qui ne peut pas travailler, qui ne pourra pas aider plus tard, donc beaucoup finissent à la rue pour y retrouver d’autres enfants, livrés à eux-mêmes parce que parents malades, misère endémique etc.
C’est un petit monde de chapardage, de débrouillardise, d’agressivité qui baigne dans la drogue, l’alcool et la violence. Ricky, la cinquantaine, chanteur, est l’âme d’un groupe à qui il a su donner du rêve. Il a transformé son tricycle en échoppe et vend des cigarettes à la sortie des boîtes de nuit pour « expats ». Avec Coco, compositeur et guitariste, au tricycle customisé, ils refusent depuis longtemps d’être « à la rue », mais vivre « dans la rue ». Car être dans la rue, c’est prendre sa vie en mains et se donner un objectif, en l’occurrence être le groupe musical de handicapés le plus célèbre de Kin. Par la même occasion, Ricky se bat pour entraîner des enfants des rues dans son énergie. Parce qu’ils ont la niaque, ces deux là. Ricky est donc le philosophe du groupe, il en a assez de voir des mômes traîner, dormir sur des cartons, et son combat, il le mène avec la musique et ses compères musiciens handicapés. Aidé par un ou deux gosses valides, le groupe va répéter, à droite et à gauche dans la ville : au zoo, pas loin d’un parc où des polios du petit centre pour handicapés jouent au foot, dans les rues de Kinshasa…
Ricky est le meneur naturel du groupe, parce que c’est un personnage qui est en plein dans la vie, parce qu’il est autonome et qu’on devine qu’il a dû l’apprendre très tôt. Tous les jours, il se lève, prêt à tout parce qu’il a la pêche, Coco. Même quand sa maison brûle, mettant à la rue sa famille entière, il trouve refuge dans la rue, sur des cartons, avec femmes et enfants… et philosophie. Même s’il avance sur un tricycle roulant, c’est « un homme debout », Ricky, tout à son rêve, et à celui qu’il arrive à donner aux autres.
La dernière recrue est un gamin des rues, « minot » au début du film (tourné sur une durée de 5 ans). Roger (c’est son nom) est valide, mais a été envoyé à Kin pour glaner un peu d’argent, car ses parents, restés au « bled »sont parmi les plus pauvres… Il ne sourit jamais et reste toujours grave, dans cette gravité de ceux qui en ont déjà trop vu. Un visage d’adulte sur un corps d’adolescent : ses grands yeux noirs lui donnent le visage dur mais ils se perdent on ne sait où lorsqu’il joue de son « satongué ».
Ricky et Coco ont entendu parler de lui. Ils savent que Roger joue d’un drôle d’instrument. Il arrive en effet à tirer des sons incroyablement harmonieux d’un petit instrument qu’il s’est fabriqué avec une boîte de conserve de lait, une branche cornée et un fil de nylon reliant l’un à l’autre, qu’il gratouille comme une corde de guitare. Pas évident à manier, mais Roger le règle lui-même, l’adapte et ce qu’il en tire est sidérant.
A l’invite de Ricky, Roger est invité à une répétition-test. Il va alors mettre son grain de « génie en boîte de lait-monocorde » dans le groupe. Tout de suite, Roger pige le moment où intervenir, et reprend l’accord, timidement d’abord, puis sûr de lui… pas bavard, le Roger, mais il parle avec son « satongué ». C’est un surdoué de la musique. On dirait qu’il est né avec son « monocorde. Après 3 secondes d’hésitation et un réglage, il répond les doigts dans le nez à un solo de guitare par ses petites notes aigrelettes tirées de cet instrument bricolé… Il est très vite intégré : il apporte un sacré plus, Roger ! Tous apportent leur « plus », leur enthousiasme, et mettent leur énergie dans les répétitions. Les progrès sont considérables.
Grâce aux 2 documentaristes, le groupe est invité à l’ambassade de France à Kinshasa et enchaînent les morceaux… c’est un tabac !
S’en suit alors un album… que tous regardent fascinés quand on leur remet le CD : leur premier album ! Ils en ont tous tellement rêvé !
Arrive alors la notoriété, jusqu’à la tournée en Europe… où ils mettent tous les pieds pour la 1ère fois. Passeports, voyage en avion… ils passent du stade handicapés-musiciens-bricoleurs à celui de stars. On les suit tout au long de leur tournée en Europe du Nord, sous la neige en Norvège, dans le luxe des hôtels européens, dans ces espaces glacés que sont les aéroports, sacré contraste avec Kinshasa !
Roger a grandi, mais ne sourit toujours pas, ou peu. Sa technique est incroyablement riche, sur scène, il fait le spectacle avec le 3e handicapé, danseur. Ricky et Coco ont toujours la pêche. Ils ont l’air de vivre leur célébrité avec simplicité… principalement parce que Ricky est un sage. Un sage africain.
Tout le long du film on vibre à la musique, on s’esclaffe aux remarques des uns ou des autres, on est souvent pris aux tripes, pas par la misère, mais par les talents qu’on voit évoluer.
Lorsque Roger-môme gratte son « Satongué », les larmes me sont montées aux yeux, quand le groupe fait ses concerts, j’ai eu envie de danser, et je suis sortie de la projection avec la patate !
Du bonheur pur jus pendant 1h30 grâce à des polios et des handicapés de la vie « à l’africaine » ! Quelle leçon !
Si j’étais médecin, je ferais des ordonnances à mes patients dépressifs en leur recommandant Benda Bilili dès sa sortie (le 8 septembre).
b.mode
11 juillet, 2010 à 13:23
Quelle étonnante aventure ! Plutôt réjouissant en ces temps de nabotisme…
remi begouen
11 juillet, 2010 à 13:57
Bravo Clomani ! Ce film est une gageure réussie, comme l’aventure du groupe ! C’est très émouvant et la musique de cette boîte à lait surprenante est belle ! Voilà qui me console d’avoir subi la ‘techno’ tonitruante issue d’une épicerie dite ‘africaine’ le 21 juin, comme je le relatais (le 29) dans l’article ‘la techno…suite de Cristophe Colomb ?’
Didier Goux
11 juillet, 2010 à 14:48
Des Africains pauvres et handicapés jouant de la boîte à lait condensé : on voit tout de suite le carton que ça va faire sur les marchés bio de la capitale.
clarky
11 juillet, 2010 à 15:08
de n’importe quel pays, de n’importe quelle couleur, la musique est un cri qui vient de l’intérieur…pas du ministère hein, aussi amer soit-il
clomani
11 juillet, 2010 à 15:37
Vraiment indispensable, votre commentaire, Didier ?
Didier Goux
11 juillet, 2010 à 19:41
AUCUN de mes commentaires n’est jamais indispensable. Mais j’aime bien me moquer, surtout quand c’est gentiment. J’aurais pu développer, notez bien, mais bon…
lapecnaude
11 juillet, 2010 à 19:56
On sait trop la « couleur » de vos commentaires, Didier Goux, à quand votre « Requiem » personnel ?
Didier Goux
11 juillet, 2010 à 20:17
Je sens que le point Godwin n’est pas loin. Je vous laisse : j’ai télé…
Suzanne
11 juillet, 2010 à 22:29
Tiens, comme vous avez déjà un commentaire de Didier et qu’un malheur n’arrive jamais seul, je me pointe sans avertissement préalable pour ma visite mensuelle:
Ce billet est très bien, j’ai envie de voir le film maintenant ! (mais le commentaire de Didier me fait rire AUSSI).
clarky
12 juillet, 2010 à 0:58
bon je vais faire sobre comme le vin et vais parodier le billet de didier sur l’humour supposé de proust comparé à celui de guillon.
vous vous doutez bien que mon inculture et ma vulgarité me portent tout naturellement à me fendre la gueule en écoutant guillon, quant à l’autre, j’espère qu’il a enfin trouvé les jeunes filles en fleurs parce que baiser une ombre c’est pas terrible tout de même, mais vu son humour décapant ils les aura plutôt mises en pleurs.
bon didier, je vais vous gâter, enfin, enfin, je vais surtout me faire plaisir à défaut de plus.
à tantôt !
lapecnaude
12 juillet, 2010 à 4:31
Très bon billet Clomani, j’irai le voir.
Je ne me permettrai pas sur ce blog de vous suivre sur votre terrain préféré Didier Goux, je vous l’ai dit je n’aime pas Proust, je viens de lire Guinsbourg après avoir lu Valtin, cela a du vous plaire en effet.
clomani
12 juillet, 2010 à 9:00
Je ne manquerai pas de vous rappeler sa sortie le 8 septembre ;o)).
Didier Goux
12 juillet, 2010 à 15:25
Lapecnaude : ce qui m’intéresserait, à propos de ces deux livres, c’est votre opinion à vous…
b.mode
12 juillet, 2010 à 15:38
@didier Une recette de cuisine ?
clomani
14 juillet, 2010 à 12:35
Petit complément sur la situation actuelle du Congo RDC…
à travers l’expo-photos d’un photographe belge…
http://latelelibre.fr/index.php/2010/07/congo-un-certain-regard/