Ce film du réalisateur danois Thomas Vinterberg est tiré d’un roman éponyme d’un certain Jonas T.Bengtsson. C’est l’histoire d’un monde de gens « perdus » dans une époque et une ville nordique, perdus dans la vie, traînant leurs blessures d’enfance comme un boulet.
C’est l’histoire de l’irresponsabilité et de son pendant « positif » l’amour et l’attention qu’on porte à l’autre. Ca commence avec trois enfants dont un petit bébé. Les deux aînés s’occupent avec attention de leur tout petit frère et décident de lui donner un nom car il n’en a pas.
C’est l’histoire d’un abîme… celui de l’absence et de l’irresponsabilité. De l’absence d’une mère alcoolique. Même présente, elle est totalement « out ». Les deux aînés parviennent à sortir de cet abîme, de cette irresponsabilité maternelle et des blessures qu’elle a provoquées. Mais pour autant, s’en sont-ils vraiment sortis dans la vie ?
Tout au long du film, on suit leurs cheminements parallèles ; ils se croisent, sans qu’il y ait de vraies retrouvailles entre eux, donc se « ratent » (en n’arrivant pas à recréer le lien d’avant). Ils se perdent de vue, les deux frangins… chacun dans sa vie misérable.
On suit d’abord l’aîné, Nick, fraîchement sorti de prison qui vit dans un centre d’hébergement social. Sa vie passée a été plutôt chaotique jusqu’à présent. Il a aimé une femme, mais mal puisqu’elle est partie. Pourtant, on découvre petit à petit que Nick est un personnage plutôt gentil, généreux, préoccupé par les autres, prompt à aider ses amis. Il vivait avec des marginaux, un peu bizarres, un peu tordus pour certains. Nick n’en a cure. Même s’il est incapable d’aimer, il les aide à mieux vivre leur vie. Il s’inquiète aussi de ce que devient Ivan, son frère cadet, sans succès. Il vivotait dans son centre, couchait avec sa voisine, un peu paumée mais gentille et généreuse elle aussi. Hélas il l’a retrouvée étranglée par son copain. Nick se sentant alors responsable de ce copain, il accepte d’aller en prison en tant que coupable. Il paye pour quelqu’un d’autre mais il accepte la sentence sans rechigner. C’est sa façon d’aimer les gens : de payer pour eux.
Vient ensuite le cheminement d’Ivan, le cadet, à la même période que celle où on a suivi celui de Nick. Ivan a un eu un fils, Martin. La mère est décédée. Les rapports entre le père et le gosse sont touchants. Ils s’inquiètent chacun l’un pour l’autre. Mais Ivan est un drogué. Il se pique, le plus souvent lorsqu’il est seul mais à cause du manque, il se pique chez lui et passe de longs moments d’inconscience dans sa salle de bain… Le môme sent confusément que son père a une énorme fragilité et le protège à sa façon, en étant gentil avec lui. En fait, le père et le fils se sentent tous deux responsables de l’autre.
Un jour, les deux frères se retrouvent fugacement autour du cercueil de leur mère, pour retourner ensuite chacun dans son propre univers, comme des étrangers. Nick qui a géré la succession donne l’argent de la vente de la maison maternelle à Ivan, parce qu’il a la responsabilité d’un enfant. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’Ivan va alors dealer de la drogue pour avoir plus d’argent, mieux vivre avec Martin et se payer ses doses. Il fait tout ce qu’il peut pour améliorer l’existence matérielle de Martin mais se perd dans sa dépendance à la drogue. C’est le môme qui l’empêche d’aller à l’overdose d’ailleurs. Ivan sombre de plus en plus, court de gros risques en dealant et finit par se faire prendre. Il va en prison.
C’est alors que les deux vies qui s’étaient déroulées parallèlement jusque là se rejoignent. Car les deux frères ont la surprise, un jour, de se trouver presque face à face dans la prison, séparés par une grille.
Nick ne supporte pas de savoir son neveu livré à lui-même dans cette ville. Il va donc dire la vérité sur le crime qu’il n’a pas commis et être libéré de prison. Ainsi il pourra s’occuper de Martin en attendant que son père soit libéré. Ivan sort de prison et se suicide. C’est alors que la boucle est bouclée. On sait que Nick s’est réconcilié avec sa vie passée, surtout son enfance poisseuse et glauque. Grâce à son neveu Martin, il va à la « rédemption » de cette négligence que lui et Ivan ont commise envers leur petit frère, et qu’ils ont traînée comme un boulet toute leur vie. Il veut aimer Martin, s’en occuper, le protéger, en être responsable. Il va prendre le relais d’Ivan et dévoiler à Martin le secret qui a lié les deux enfants de cette mère alcoolique. Il va donc se lier avec Martin comme il a tenté de le refaire, en vain, avec Ivan.
Le réalisateur dit que c’est un film sur la responsabilité… celle des enfants qui se sentent responsables de leurs parents, celle des parents qui veulent donner du bonheur à leurs enfants. A la lueur de mon passé, moi j’ai surtout ressenti l’absence. C’est un film sur l’irresponsabilité d’une mère et des répercussions que ça peut avoir ensuite sur ses enfants. L’absence maternelle. Pour moi, cette mère (qu’on ne voit qu’une fois au début) sans visage car elle est ivre et que ses cheveux lui couvrent la figure, est le personnage le plus important de cette saga, ainsi que le 3e de la lignée, le bébé. Encore un absent parce qu’il meurt dès le début. C’est aussi l’absence de liens, cette incapacité de nos sociétés modernes à créer du lien entre les êtres… Cette propension à marginaliser, à mettre de côté, à rendre la vie si dure que les plus fragiles se perdent dans l’alcool, la drogue, le travail, dans des besoins de plus en plus exigeants. Là encore, on est confronté au manque, à l’absence, à la dépendance, à l’irresponsabilité et à la fuite.
Je ne veux cependant y voir que l’espoir. Parce que Nick a su trouver la force de renaître malgré ses blessures d’enfance et toute cette noirceur. Il nous dit que nous devons tous nous sentir concernés par ceux qui nous entourent, les protéger, les aimer comme on peut.
Portraits psychologiques noirs, blessures d’enfance, êtres en perdition, et lueur d’espoir. C’est vraiment d’actualité. A part un ou deux plans de trop (qui viennent de temps à autre souligner un peu trop lourdement les sous-entendus ou les secrets), j’ai vraiment plongé dans Submarino… tout le long en apnée d’ailleurs.
Peut-être est-ce la raison du titre ?
lediazec
8 août, 2010 à 7:42
Putain, Clo ! Juste au moment où je m’apprêtais pour la messe, je lis ta critique cinoche. Vingtdieux ! Ils sont sans concession, ces nordiques. De quoi avaler une à une les 150 grains de son chapelet ! Vertigineux.
Aie, aie, aie !
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b.mode
8 août, 2010 à 8:08
Clo, j’ai ajouté le dossier de presse que tu m’as envoyé. N’oublie pas d’envoyer le lien à Anaïs !
Comme dit Rodo, tu vois ça et tu te pends à un vrai berbère…
b.mode
8 août, 2010 à 8:38
Ajout de la bande annonce et d’un extrait…
babelouest
8 août, 2010 à 9:03
Tellement vrai, ce concept des responsabilités croisées ! Un grand film, vu et analysé par une grande Clo.
lediazec
8 août, 2010 à 9:12
Très belles bandes annonces. Le ton est juste et le réalisme au diapason.
Quoi qu’il en soit, les critiques cinoche de Clo, c’est top.
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b.mode
8 août, 2010 à 9:22
Absolument !
lediazec
8 août, 2010 à 9:22
Magnifique Aretha Franklin dans la zique du jour.
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clomani
8 août, 2010 à 9:59
C’est sûr qu’on sort quelque peu « groggy » de ce film.
Disons que j’ai rédigé la critique à la lueur d’un âpre débat avec un jeune @sinaute, au sujet de cette vidéo qui a tourné sur le net. Violence subie par une femme africaine, portant son bébé dans le dos, tirée par les pieds par un CRS. Le jeune homme en question a été si prompt à la condamner et à la traiter de mauvaise mère exposant son bébé à la violence policière que je suis montée sur mes gonds. Son analyse ethnocentrique et tolérante envers la police m’a affligée.
Du coup, l’absence de cette mère nordique m’a sauté au visage au fur et à mesure que je rédigeais le compte-rendu…
Et il n’y a pas que de la sinistrôse dans ce film ! Eh ! La fin est une renaissance, un nouveau départ pour un adulte et un enfant. Ca en fait déjà 2 de sauvés ! ;o))
Je cours voir la recette de la coca à la soubresade… vingt-dieux tous mes épiciers espagnols sont fermés ! Va encore falloir attendre la fin des vacances pour me faire de la bonne bouffe !
clomani
8 août, 2010 à 10:21
B.Mode, désolée de te contredire mais j’ai été pendue à un vrai Berbère… c’était tout de même plus réjouissant que ça ;o)).
b.mode
8 août, 2010 à 11:04
Clo, ma langue a fourché, je voulais dire réverbère…
clomani
8 août, 2010 à 11:11
Ou à un Bérêt Vert peut-être ? ;o))) Là, je comprendrais . Je me souviens d’être allée voir le film « les bérêts verts » – de et avec je crois John Wayne- avec ma bande de potes dans les années 65… Morts de rire devant cette apologie du grand et bon guerrier US ! Nous étions allés voir « les Réverbères » ;o))
ZapPow
8 août, 2010 à 14:45
Il me faudra voir ce film, car il me faut la réponse à cette question cruciale : qu’est-il advenu du bébé, celui qui n’avait pas de nom ?
remi begouen
8 août, 2010 à 19:28
A lire et à relire, c’est du bon et cela mettra tout le monde d’accord : ‘L’Allumeur de rêves berbères’ de FELLAG (JC Lattès)!
Didier Goux
8 août, 2010 à 20:18
Tiens, à propos des « Bérêts verts » (que je crois bien n’avoir jamais vu, du reste), je me souviens qu’à sa sortie en France – je devais avoir 16 ans –, un type dans ma classe, communiste de père en fils, militait pour que le film soit interdit en France. Moi je m’en fichais, j’étais anarchiste à l’époque et je savais déjà ce qu’il convient de penser de ces petits cocos-là.
Sinon, pour votre film du jour, j’attendrai qu’il passe à la télé, comme d’habitude.
lapecnaude
8 août, 2010 à 21:07
http://geekcestchic.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/08/07/la-censure-de-l-internet-commence.html
c’est à lire de toute urgence !
clomani
9 août, 2010 à 7:42
@ Lapecnaude : espionner le net, dans un premier temps pour permettre à l’Etat de rafler un maximum de pognon en taxes mais surtout aux copains de Sarko de pouvoir avoir accès aux comptes des joueurs. Ensuite, pour pouvoir museler les contestataires peut-être ?
@ D. Goux : Ce film était une daube militariste, apologie de la virilité de la guerre… John Wayne pouvait difficilement faire un « Apocalypse Now », l’époque non plus. Quant à Submarino, m’étonnerait vraiment qu’il passe sur les télés… pas « grand public » pour un sou. Je gage d’ailleurs que sa distribution sera « courte et discrète » en France où on préfère les gros navets de nos comiques troupiers.
Didier Goux
9 août, 2010 à 11:08
Il ne passera peut-être pas sur les chaînes publiques, mais sur les chaînes « cinéma » sûrement que si. Vers une heure du matin…