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De la démocratie, moyen de dictature

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democratie.jpgSoyons clairs : de quelle démocratie parlons-nous ? L’Athènes ancienne comporta trois cent mille habitants, ce qui était considérable pour l’époque. En revanche, bien plus de la moitié de ceux qui y vivaient ne pouvaient prétendre au titre de citoyens. Métèques ou esclaves assuraient tout le travail dans la cité, mais ne pouvaient prétendre à la gérer. Comme les mineurs, et les femmes, même de bonne famille, ne pouvaient pas, ou pas encore, aller sur l’Agora, environ vingt pour cent de la population avaient le titre de citoyens, soit soixante mille personnes dans la plus grande expansion, bien moins ensuite. Par commodité, seule une partie de ces citoyens siégeait à la fois, soit six mille « représentants du peuple ».

On retrouve ce panel réduit de nos jours, bien plus réduit encore puisque le total de l’Assemblée et du Sénat réunis est de moins de mille représentants. Il faut cependant ajouter les assemblées communales, départementales et régionales qui gèrent au plus près des citoyens la vie courante.

Compte tenu de la grande concentration de pouvoirs à Paris, les assemblées locales ne peuvent délibérer que dans le cadre de lois édictées dans la capitale, quand ce n’est pas au siège européen de Bruxelles. Le gouvernement, pouvoir exécutif, a aussi l’initiative de la plupart des lois (Projets) face à un nombre réduit de Propositions émanant des élus. Il suffit, comme actuellement, que la majorité des mandatés aient la même couleur politique que le chef de l’État, et acceptent tous ses désirs, pour que celui-ci décide de tout à sa guise.C’est ainsi que l’on se retrouve, non de droit, mais de fait, dans une forme dictatoriale de l’État. Il suffit que le président élu pour arbitrer les litiges entre les piliers du pouvoir, réussisse à se les accaparer tous, pour que le fait soit accompli.

desequilibrepouvoirs.jpg*** Les ministres, et leur coordinateur le Premier ministre, constituent normalement le gouvernement : ils sont court-circuités par le Palais, où le nombre de Conseillers devient pléthorique pour couvrir tous les secteurs d’activité. C’est le « Je » qui décide de tout.

*** Les députés et sénateurs de la « majorité présidentielle », sur la même longueur d’onde que le président, s’ingénient à inventer de nouvelles propositions de lois dans la ligne de pensée du patron de l’Élysée : on peut parler là de servilité, si ce n’est une concordance d’intérêts. Bien entendu, aussi bien les propositions de lois que les projets « passent » à chaque fois ou presque, sans heurts ni vrais débats.

*** Comme les magistrats du Parquet sont sous l’autorité du Garde des Sceaux, et que celui-ci ou celle-ci prend ses ordres rue du Faubourg, la Justice n’est plus libre et indépendante comme le préconisait Montesquieu. Le fait de confier les enquêtes au procureur, et non à un juge du Siège, permet au Pouvoir exécutif de contrôler à sa guise le judiciaire. Redoutable dérive !

*** Il subsistait un quatrième pouvoir, celui de l’information. Peine perdue ! Ce sont les sponsors de l’ancien maire de Neuilly, ceux qui l’ont fait élire, qui détiennent tous les cordons des médias. Leurs stratégies visent bien entendu en premier lieu leur propre intérêt, et celui qui trône pour cinq ans est, consciemment ou non, leur homme de paille.

C’est pourquoi l’on peut réellement parler d’une dictature. Ce n’est pas vraiment celle d’un homme, mais celle d’un faisceau d’intérêts convergents. Au niveau des citoyens, cela ne change rien.

argent.jpgNe nous disons pas que cet état de fait est spécifique à notre pays. Prenons le cas des États-Unis. L’équilibre du pouvoir y est apparemment bien mieux respecté. Le président a beaucoup de pouvoirs, mais le Congrès également, et souvent ses actions bloquent les tentatives de réformes de l’hôte de la Maison Blanche. En revanche, le financement des ruineuses campagnes présidentielles aussi bien que sénatoriales fait que les mêmes qui se donnent un droit de regard sur les élus du Capitole, sont également les mécènes intéressés des prodigalités des candidats à l’Exécutif. En quelque sorte, partout, que ce soit à Paris, à Bruxelles, à Washington, à Rome ou à Berlin, ce sont les lobbies qui dictent leurs desiderata de façon plus ou moins pressante.

Que devient le citoyen, dans ce bouillon de sorcière où l’argent est l’ultime critère, le grand prescripteur ? Il n’a plus qu’Internet pour faire entendre sa voix sans trop de risque : la Police est devenue partout le brutal bras d’un Pouvoir universel, qui n’entend lâcher aucun de ses bastions. Dictature mondiale ? Osons un paradoxe : partout où les médias affichent l’apparence d’une démocratie, de la liberté, c’est là que les droits élémentaires sont bafoués. Non qu’ailleurs ce soit tout rose, mais le cynisme y est moins de mise, et les pays d’Amérique Latine qui ont réussi pour le moment à se dégager de la « bienveillance » US sont le meilleur exemple de nations où l’État est au service du peuple, et non l’inverse.

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17 Commentaires

  1. remi begouen

    9 août, 2010 à 3:42

    Quelle idée d’ouvrir Ruminances au cours d’une insomnie dont je n’étais encore que mal réveillé! : me voilà tout réveillé grâce (ou à cause) de toi, Babelouest… Belle démonstration !
    Bonne idée, d’abord, d’évoquer Athènes, et son pseudo modèle éternel de démocratie ! : Non seulement ce n’était qu’à peine 20% des athéniens qui y participaient, mais ce n’était qu’à Athènes que cela se pratiquait, dont la fortune – déja ! – se basait sur un empire, du moins sur des guerres contre ‘les barbares’, où aller chercher denrées et esclaves. Ce qui perdure aujourd’hui…
    Par contre, je suis moins convaincu sur ta conclusion finale de citer l’Amérique Latine en ‘modèle’ d’Etats se mettant enfin au service du peuple… : De Cuba il y a plus de cinquante ans à la Bolivie aujourd’hui, via tant et tant de Révolutions et Contre-Révolutions latinos-américaines, on ne voit pas encore le bout du tunnel, qui est bien sûr l’écroulement de la dictature du fric…

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  2. babelouest

    9 août, 2010 à 7:11

    Bien sûr Rémi, il faut relativiser : Bogota, La Havane, Quito, Sucre ne sont pas des modèles absolus pour la place de l’État, mais au moins ces pays y tendent malgré les pressions US, car le grand voisin du nord déteste voir une partie de « ses possessions » rétive à ses financiers et ses militaires.

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  3. b.mode

    9 août, 2010 à 7:41

    Badiou citant Platon disait ceci : « Dans la critique radicale du régime démocratique, Platon note qu’un tel régime considère que ce sur quoi une politique doit se régler, est l’anarchie des désir matériels. Et que, en conséquence, un gouvernement démocratique est inapte au service de quelque Idée vraie que ce soit, parce que si la puissance publique est au service des désirs et de leur satisfaction, au service finalement de l’économie, au sens large du mot, elle n’obéit qu’à deux critères : la richesse, qui donne le moyen abstrait le plus stable de cette satisfaction, et l’opinion, qui décide des objets du désir et de la force intime avec laquelle on croit devoir se les approprier. »

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  4. babelouest

    9 août, 2010 à 7:59

    Je n’aime pas beaucoup les idées de Platon sur la démocratie. L’État n’a pas à se préoccuper des désirs du peuple, mais de ses besoins vrais. Cela demande bien entendu de la part des gouvernants une haute idée de leur mandat, un grand altruisme, une idée du bien commun qui n’est pas la somme des envies particulières. Autant la gestion de la santé pour tous (y compris les besoins naturels et fondamentaux en nourriture), de l’éducation, de l’aide à trouver un logement décent, de la facilitation générale des communications est bonne, autant certaines dérives liées par exemple à la propriété individuelle peuvent être profondément préjudiciables.

    Je rappelle que, selon mon point de vue, la juste rémunération des efforts est normale et louable, mais le profit basé sur l’accaparation par certains de richesses au détriment de la majorité, et sans vraie création de richesses nouvelles, est à mettre à l’index : c’est à l’État d’y veiller.

    Ces bases posées, la démocratie est-elle en mesure d’apporter ce genre de sécurité à tous ? Pas à coup sûr, c’est certain. Parfois, peut-être. En revanche, les autres formes de gouvernement sont encore bien plus sujettes à caution, presque certainement.

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  5. b.mode

    9 août, 2010 à 8:00

    Platon dans la citation critique justement la démocratie…

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  6. babelouest

    9 août, 2010 à 8:06

    Précisément, Platon s’imagine que la démocratie est la licence de tout faire, alors que c’est l’anarchie qui est parée de ce genre d’oripeaux. Il est facile de faire entrer dans un système ce que l’on n’aime pas, puis de critiquer l’ensemble ensuite. Non, je n’aime pas les idées de Platon sur la démocratie, car je pense qu’elles sont erronées.

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  7. clomani

    9 août, 2010 à 8:26

    Quel constat Babel ! Et quel point d’exclamation de Badiou citant Platon B.Mode ! La décadence est inhérente à l’humain, ça me paraît évident.
    Si j’étais religieuse, je me dirais que le « dieu qui a créé l’homme à son image » était un sacré salopard ;o)).
    Je suis un peu d’accord avec Babel, Rémi… l’Amérique du Sud n’en est qu’aux balbutiements… quel terrible désavantage d’avoir vu sa population d’origine décimée par les envahisseurs, et les générations suivantes être si tentantes pour l’ « élevage américain » ! Parce que, outre les bovins et ovins argentins, mexicains et autres qui appauvrissent les petits paysans pour finir en hamburgers aux USA, l’Amérique Latine a servi de terrain pour dresser des gros et petits tortionnaires, des tyrans à leur solde (Colombie par exemple) et pour faire pousser la came et la trafiquer, came dont les consommateurs sont situés très au Nord.
    Le gros problème de l’Amérique Latine, c’est qu’elle est divisée en pays tendance libéralisme et en pays bolivariens. Mais des expériences intéressantes ont été lancées : les néo-Zapatistes au Mexique, les « Sans-Terre » au Brésil… L’autre problème, très humain, est que l’homme n’étant qu’un homme, et le pouvoir étant l’essence même des excès de pouvoir, le terrain latino-américain est loin d’être exemplaire.
    Rémi, je te rappelle qu’au Honduras, un président avait été élu démocratiquement et qu’une « rébellion des riches » (aidés par les USA) a fait qu’il a été poussé hors des frontières du Honduras. Il avait le désavantage d’être un peu trop de gauche aux yeux des USA. Ledit président n’a toujours pas pu revenir à la tête de son pays malgré les nombreuses manifestations populaires de soutien. Au Mexique, les maquiladoras (usines d’assemblage) emploient à bas prix de la main d’oeuvre mexicaine juste de l’autre côté du mur de la honte US. Le cours du maïs est tombé (alors que c’est la nourriture de base mexicaine) grâce au maïs transgénique qui a envahi le pays après la signature de l’accord de marché de l’Amérique du Nord, l’ALENA. Du Sud du Mexique à la Colombie en passant par Panama, on trouve des institutions typiquement CIA destinées à former des mercenaires à la solde des grands producteurs ou éleveurs. Suffit d’observer ce qui s’est passé en Irak et en Afghanistan pour comprendre de quoi l’Amérique Latine a souffert de sa proximité avec le « grand satan » !

    (Pour connaître un peu mieux l’état actuel de l’Amérique Latine, lire « les veines ouvertes de l’Amérique Latine » d’Eduardo Galleano (un Uruguayen je crois). C’est passionnant.

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  8. clomani

    9 août, 2010 à 8:31

    Très bonne citation de Mélenchon qui cite Camus dans la phrase du jour…
    Quant à la zique du jour, je l’ai découverte hier grâce à un @sinaute. Je l’ai trouvée tout simplement merveilleuse. Oui, on peut être heureux comme Sisyphe, juste en écoutant de la bonne musique comme celle-ci qui représente, pour moi, LE métissage parfait.

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  9. babelouest

    9 août, 2010 à 8:58

    Arf… Clo, ce n’est pas « le dieu qui a créé l’homme à son image”, mais l’homme dominateur qui a créé un dieu commode pour ses desseins. Oui, cet homme-là était un sacré salopard ! Et ses successeurs ont bien compris leur intérêt. On notera que les religions bien installées ne sont pas du côté du peuple, c’est dans les pays où il faut recruter que sont envoyés des « missionnaires » altruistes : leur message passé, ils cèdent la place aux prédateurs habituels.

    Les religions dites « du livre » ne sont que des vecteurs de la domination mondiale. On notera que souvent, c’est dans des pays où les fois et les cultes originels sont encore vivants, que la résistance à la mondialisation est la plus vive. La « démocratie » (fausse, bien sûr) importée ne « prend » pas. Son aspect dictatorial éclate immédiatement au grand jour.

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  10. babelouest

    9 août, 2010 à 10:19

    J’aime le Boileau cité par Gabale, ce Nicolas dont j’habitais la rue autrefois : ses vers ont un poids qui vaut celui des petits bijoux de La Fontaine.

    D’un Nicolas à l’autre, l’on saute du propret sentier gravillonné et bordé de fleurs des champs, à la venelle fangeuse et sinistre. Il est vrai aussi que nous sommes passés de Montesquieu à l’approximation prosélyte, à la loi à géométrie variable, à la république des coquins et des copains.

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  11. brusyl

    9 août, 2010 à 10:51

    bonne analyse que l’on pourrait résumer en une petite phrase : la disparition des contre-pouvoirs, indispensables au bon fonctionnement de la démocratie. Le pouvoir économique a durant ces trente dernières années opéré et réussi son OPA sur tous les autres pouvoirs notamment le politique.

    - confusion de plus en plus visible entre le pouvoir économique, politique et médiatique :
    confusion des personnes : les mêmes personnes passent indifféremment des fonctions de conseillers du gouvernement, ministres, haut fonctionnaires à celui de dirigeants d’entreprise, confusion des domaines : exemple la loi sur les retraites a pour fonction déclarée par le premier ministre de « rassurer les marchés », confusion des budgets les partis politiques et les campagnes électorales des candidats étant financés par ces grands groupes.
    Quand aux média et à l’information, maintenant aux mains des grands groupes soit directement par achat soit indirectement par assujetissement à leurs ressources publicitaire, il n’est guère étonnant qu’ils ne joue plus leur rôle de contre-pouvoir, ni qu’ils se mettent au service de la propagande de la pensée unique néo-libérale

    On pourait ajouter à ce tableau que les détenteurs du pouvoir réel ne sont plus les représentants de la volonté populaire car ils ne doivent plus leur légitimité à une élection : dirigeants des grands groupes, représentants d’institutions internationales.
    Quant à nos représentants élus il mettent ce qui leur reste de pouvoir aux service des groupes de pression économiques : le lobbying a pris la place de la responsabilité devant l’électeur..
    Je suis tout à fait d’accord avec vous : notre prétendu discours démocrate n’est plus qu’une carcasse vide, des mots recouvrant une réalité de pouvoir unique, celui du « grand capital » pour employer un langage marxiste.
    Ce n’est pas une question de personnalité de nos dirigeants (sarkozy n’est que le produit des grands groupes qui ont financé son élection) ni de déviation du régime : toute réforme constitutionnelle serait inefficace, illusoire si elle ne redonne pas au politique son autonomie, si elle n’interdit pas expressément toute collusion d’intérêt entre celui-ci et le pouvoir économique, si elle ne porte pas au pouvoir une nouvelle génération d’hommes et de femmes déterminés à refonder notre république

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  12. b.mode

    9 août, 2010 à 11:01

    Superbe commentaire qui aurait mérité un billet !

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  13. babelouest

    9 août, 2010 à 11:29

    Merci Brusyl, ce commentaire apporte une très grande clarté au débat, et ses conclusions sont très justes. Les institutions à tous les niveaux ne sont plus que des outils pour un pouvoir désincarné de financiers ivres d’adoration de l’Argent-Pouvoir : un vrai syndrome de psychopathie. Et une chute dans le néant pour notre planète tout entière.

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  14. lapecnaude

    9 août, 2010 à 19:34

    Avec cette cure de rajeunissement … je me retrouve en philo ! Chapeau bas, Messieurs, pource qui mériterais un vrai commentaire commun.

    Selon vos avis, la traduction « en faits réels et tangibles » serait de construire un parti qui serait démocrate sans être autoritaire ni assujetti et … et …

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  15. remi begouen

    17 août, 2010 à 11:47

    Oui, l’analyse superbe de Brusyl aurait mérité un billet.
    Donc, B-mode, il ne te reste qu’à inviter Brusyl à le faire prochainement, via ce texte ou une variante..
    Car on est loin d’avoir encore tout compris : creuse, la vérité est au fond du puits…

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  16. b.mode

    17 août, 2010 à 11:51

    Mais je ne connais pas ce brusyl… Une de tes relations ?

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  17. remi begouen

    17 août, 2010 à 17:43

    Non hélas, je ne connais pas non plus ce Brusyl. Il n’y a plus qu’à espérer qu’il lise cet appel du pied…

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