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Notes de lecture – Albert Londres

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Notes de lecture – Albert Londres dans Politique londres

Une librairie c’est comme le Net : on s’y rend pour se procurer un ouvrage, on repart avec d’autres, parce que celui que nous cherchions n’est pas là, où parce que la découverte de nouveaux vous pousse vers d’autres horizons.

Cela fut le cas récemment. Allant chercher un Henri Calet que Didier Goux m’avait recommandé et qui tardait à franchir la barrière bureaucratique des expéditions, je découvrais dans la collection Arléa, diffusion Seuil, une série de petits bouquins fort bien présentés de monsieur Albert Londres. Ceux-ci représentant une partie de l’œuvre complète publiée par cette même collection en 2008.

Mon colis sous les bras, je le déposais sur une pile à laquelle sont venus s’ajouter depuis d’autres ouvrages sur lesquels je n’ai pas eu le temps d’y revenir. C’est en faisant du rangement que Londres est sorti de la brume où il se trouvait. Depuis, j’ai tout avalé et vais me procurer le reste de l’œuvre.

Homme de santé fragile, mais à l’énergie farouche, Albert Londres est né à Vichy en 1884 et mort dans l’incendie d’un bateau qui le ramenait de Chine en 1932, à l’âge de 48 ans. Entre ces deux dates, il s’est forgé un caractère et donné au journalisme ses lettres de noblesse.

De voyage en voyage, Albert Londres a dessiné les contours d’une géographie mentale avec la curiosité pour viatique et la justice pour obsession. De reportage en reportage, il a façonné les chemins de la découverte, jeté des ponts d’une rive à l’autre pour que, dans sa diversité, l’homme découvre ce qui l’unit ou le sépare de son semblable, en bien ou en mal.

Forçats de la route
Dans ce reportage de 1924, c’est le Tour de France cycliste qu’il met en lumière. Le moment est héroïque et le journaliste, tel un conteur halluciné, nous donne de l’exploit, de la souffrance et des drames qui l’émaillent une photographie que le Musée de la littérature sportive affiche avec fierté comme référence. En passant, villes, villages et habitants sont décrits d’un trait génial. A un cycliste au ravitaillement, un monsieur plein de bonnes intentions : « Vous avez le temps, trois minutes… » Le cycliste : « Non, monsieur le notaire, ce n’est pas que je sois pressé, mais mon masseur m’attend à deux cents kilomètres d’ici pour me remettre le coeur en place, alors, vous comprenez… » La réplique est de Jean Alavoine.

Dans la Russie des Soviets
Albert Londres est le premier journaliste occidental à se rendre, en 1920, au prix d’un voyage kafkaïen, au coeur de la République des soviets, à Petrograd, aujourd’hui Saint-Pétersbourg. Sans fioritures, il nous rapporte ce qu’il voit, ce qu’il entend. Il nous donne à sentir – déjà ! – la mesure de sa terreur devant le spectacle qu’il découvre. L’homme tel qu’il sera tant que durera ce « paradis » pour lequel ont bandé des légions d’imbéciles manipulés : un chien. Prémonitoire, Albert Londres écrit ceci à propos du bolchévisme : « l’acte fondamental de leur doctrine est l’antiparlementarisme… » Un peu plus loin, il chasse le clou avant bouchage de la trace : « le bolchévisme n’est pas l’anarchie, c’est la monarchie, la monarchie absolue, seulement le monarque, au lieu de s’appeler Louis XIV ou Nicolas II, se nomme Prolétariat 1er. »

L’Homme qui s’évada
Magnifique récit sur la vie d’Eugène Dieudonné, jeune ébéniste, militant anarchiste, homme de bien, condamné comme complice de la bande à Bonnot. Alors qu’il n’a rien à voir dans l’affaire, la justice française, jamais avare d’une injustice, l’expédie aux îles du Salut. De son arrivée à son évasion tout est raconté au fil du rasoir. Un livre qui se lit comme un roman et se crache comme on crache sa haine à la face d’une justice de classe. Des hommes qui ne sont plus des hommes, tant les conditions de vie – si on peut appeler cela ainsi – sont hideuses, ne tenant au fil de l’humanité que par un effort surhumain.

Albert Londres ramènera Dieudonné en France en 1927, avec, disons-le, le concours actif de la justice brésilienne. Comme toujours, la France fut dernière à innocenter l’innocent !

Terre d’ébène
De loin le plus dense de ces quatre reportages. Embarqué pour un périple de quatre mois qui le conduira au Sénégal, Niger, Haute-Volta (Burkina-Faso), Côte d’Ivoire, c’est un Albert Londres révolté qui se dresse sur le chemin du colonialisme. Sans concession, le ton cassant, avec objectivité et colère, il dénonce, fustige et condamne une politique d’où la France et sa grandeur ne sortent point grandies. Encore une fois, le reporter, fera honneur à sa devise : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »

PS. Clin d’œil à notre ami Gérard Lambert, libraire à Saint-Nazaire. 16 ans déjà ! De même pour l’ami Rémi (c’était hier) : à peine pubère et déjà barbu !

 

Collection Arléa – diffusion Seuil -  prix du volume entre 7 et 8€

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14 Commentaires

  1. b.mode

    29 septembre, 2010 à 6:22

    Avec un homme de cet acabit, on est loin des Elkabbach, Duhamel et autre Aphatie… Pauvre France !!! Merci pour ces notes, Rodolphe !

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  2. lediazec

    29 septembre, 2010 à 6:36

    Bonjour à tous avec Maurice Chevalier et son « ça fait d’excellents français » dans la zyque du jour.
    Belle colonne de droite, comme souvent : L’Erby-Einstein est excellent, mais aussi la Une du Canard et la palette de porc en civet. Un plat de « pauvre » riche d’un savoir-faire coutumier chez les pauvres.
    Important : n’oubliez pas d’aller voter pour Les Doigts dans le cul des élus !

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  3. babelouest

    29 septembre, 2010 à 6:37

    Se souvient-on de Ladislas de Hoyos, lorsqu’il interviewait des personnalités pour TF1 ? Il martelait ses questions, face à des politiciens qui ne savaient plus comment détourner la réponse, dont la langue de bois était mise à nu, enfin qui étaient très mal à l’aise. Il ne leur servait pas la soupe, lui : ou alors, c’était la soupe à la grimace. Quelques-uns aujourd’hui pourraient en prendre de la graine.

    Et merci encore à Rémi, pour son accueil !

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  4. Remi Begouen

    29 septembre, 2010 à 9:44

    Ah, Albert Londres, LE VRAI journaliste-écrivain… Je l’ai vraiment découvert vers 1974 grâce à Jean-Claude Guillebaud, qui avait déja été un excellent journaliste de ‘grands reportages’ au Monde, puis fit une longue carrière au Seuil et, justement à la filiale qu’il créa : Arléa… dévouée à ressuciter Albert Londres. Je crois que J.C. Guillebaud vieillit mal aujourd’hui, du côté catho du journal Sud-Ouest, plus le nouvel Obs…tant pis. Mais à l’époque, j’espérais me reconvertir en journaliste et j’avais fait sa connaissance dans ce but. Nous avons passé des heures de franche amitié, au Seuil et au bistrot, et il n’a fait que me parler d’Albert Londres. Si bien que je suis parti avec un premier bouquin, pour moi, d’Albert Londres. J’allais à Berlin avec idée de reportage sur ‘Ber//Lin’ Ouest-Est… J’ai non seulement échoué dans ce projet free-lance, mais pire, me suis lamentablement retrouvé fauché – grâce à un faux ami qui court toujours avec mes sous. C’est J-C Guillebaud qui m’a dépanné d’un mandat international… Puis suis revenu le voir, lui raconter mes mésaventures, avant d’arrriver, plus tard, à le rembourser!!!

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  5. Remi Begouen

    29 septembre, 2010 à 10:24

    Suite de mon billet de 9h44 – L’important reste ‘le prix Albert Londres’, aujourd’hui, censé récompenser de vrais-bons reportages. Je ne sais pas trop si ça marche. Mais, en tout cas, je constate que la graine du bon journalisme se perd, bien sûr à la télé et la radio, mais dans les canards régionaux et nationaux, non ? Reste la presse d’opinion (Politis, La Décroissance, Le Canard Enchaîné – parfois…) et l’avenir, d’Internet, peut-être ?

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  6. lediazec

    29 septembre, 2010 à 11:09

    A propos d’Albert Londres et de la photographie, je viens d’ajouter un lien intéressant dans l’article.

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  7. Fifi d'Ardèche

    29 septembre, 2010 à 11:25

    Parcourant les journaux , je ne trouve souvent que des titres plus racoleurs les uns que les autres, moqueurs , se voulant humoristiques, une sorte de surenchère qui m’apparaît souvent blessante pour ceux dont ils sont les sujets…L’impression que cette surenchère racoleuse n’a plus rien à voir avec la vérité…

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  8. lediazec

    29 septembre, 2010 à 11:37

    Un allemand à la jubilation évidente http://video.planet.fr/video/iLyROoaf8yTr.html

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  9. razor

    29 septembre, 2010 à 13:08

    L’allemand est con mais il n’a pas tort sur le fond ! Dans ce pays, si on décrête un jour d’accrocher une mini caravane jaune à la chemise des roms, ça passe comme une lettre à la poste !

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  10. lapecnaude

    29 septembre, 2010 à 14:06

    @Rodo – selon Albert Londres  » l’acte fondamental de leur doctrine est l’antiparlementarisme », c’est exactement ce qui définit Sarkosy, ce qui revient à dire que Sarkosy est un « bolchevic » et n’a rien à envier à ces communistes de 1920.
    A quand les goulags ?

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  11. lediazec

    29 septembre, 2010 à 14:41

    @ Françoise. Excellent rapprochement. Là-bas cela était effectif, ici on voudrait que cela le devienne.

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  12. clomani

    29 septembre, 2010 à 16:19

    Le Prix Albert Londres existe toujours mais il passe complètement inaperçu… hélas ! Je sais que Sorj Chalandon (de Libé) l’a reçu pour un reportage qu’il avait fait en Syrie : il était entré dans Kenitra avec des chars syriens…
    Mais des « Sorj Chalandon » ou des « Albert Londres », il n’y en existe plus guère hélas… capable de s’exprimer avec un stylo plus joliment qu’avec une caméra ! J’adore le style de Sorj… mais j’ai un bouquin avec les divers prix Albert Londres (de 80 jusqu’à 90 je crois)… il faudrait voir s’ils continuent àles éditer enlivre.
    Sinon, ici : temps presque de cochon (bon, je suis dehors, à la terrasse d’un café, mais sous un ciel nuageux)… ça sent l’automne ;o)).

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  13. lapecnaude

    29 septembre, 2010 à 17:48

    Clo – t’es où ?

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  14. lediazec

    29 septembre, 2010 à 17:58

    Elle est en Grèce, Françoise. Il ne fait pas très beau, qu’elle dit, mais elle était installée à la terrasse d’un café, la veinarde :cool:

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