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L’arrivée à Paname : Europe N°1

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arch2cvhr.jpgJe m’étais présentée un jour à Europe N°1, tard le soir. Une petite annonce disait qu’on y cherchait une secrétaire. Alors que je prétextait l’heure tardive (19h), mon petit copain étudiant m’avait expulsée de la 2 CV en disant : « allez, vas-y« . Je n’y croyais pas. « Europe N°1, faut pas rêver » pensais-je. Pourtant, mon adolescence peu lointaine avait été bercée par Salut les Copains, les matinées avec Maurice Biraud, et d’autres émissions de cette station de radio. J’entrai à la réception où on me fit patienter.

Au moment où, lasse d’attendre, je venais de quitter les lieux, l’hôtesse m’avait rattrapée dans la rue. « Madame, la chef du personnel va vous recevoir »… A ma montre : 19h30 ! Perdue derrière son grand bureau, une petite dame à lunettes m’avait expliqué qu’il s’agissait de travailler pour le Directeur Général, Maurice Siégel, mais qu’il voulait absolument juger sur photo en plus du Curriculum Vitae. – « à cette heure-là, c’est difficile » dis-je (il était 8h -10) – « sisisisi, allez vite au Prisu des Champs, c’est à 200 mètres, il y a un photomaton au sous-sol, ils ferment à 8h… après, revenez et demandez à venir dans mon bureau, vous poserez vos photos à côté de la pile de dossiers, là » répondit la chef du personnel en montrant une bonne centaine de dossiers.

Vite fait, bien fait, je revins avec les 4 photos et les déposai sur le bureau déserté par son occupante. Puis je retournai à mon hôtel borgne où j’avais une petite chambre à 10 F la nuit. En fin de semaine, un message téléphonique m’attendait à mon retour des différents rendez-vous « boulot ». « Merci de passer à Europe N°1 chez Mme H. au plus vite« . Ce que je fis le lendemain. Pour apprendre que M. Siégel avait sélectionné deux candidates dont moi. L’assistante du directeur me présenta l’autre candidate. Mon double : grande, blonde, lunettes. On nous demandait de se partager la semaine. Pressée d’avoir du travail, je me proposai pour commencer la semaine d’essai puisque j’étais libre. L’autre blonde à lunettes ferait le jeudi, vendredi et samedi. C’est ainsi que je fis mes premiers pas à la radio. Trois jours à l’essai dans le bureau jouxtant celui du « big boss », occupé par l’assistante, Christiane B. (épouse d’un ex député paraplégique) et un drôle de type brun et bedonnant au regard scrutateur et à l’air « alléché ». « Dudu » était le chauffeur de la Mercedes du patron. Il me fit peur dès la première heure.

On me présenta à Maurice Siégel. Curieux accent gouailleur de titi parisien. Surréaliste pour moi, provinciale formée à la raideur suisse-allemande, ensuite au travail « à la cool » mais efficace chez Du Pont de Nemours. A Paris, à la radio classée N° 1, le patron n’avait aucun style… pourtant, il fréquentait les arcanes du pouvoir, les stars se bousculaient dans son bureau, et Sylvain Floirat était le visiteur le plus fidèle puisque la radio lui appartenait. Ses bureaux étaient déjà chez Matra, vers l’Arc de Triomphe, et la rue François 1er était très proche. Siégel passait son temps à biper sur son téléphone : « appelez-moi M. X », « passez-moi Mme Y« . Aidée du carnet d’adresses (très mondain dont je n’avais que faire), j’appelais les personnes demandées et les passais ensuite au « chef ».

Le lendemain, second jour d’essai, l’assistante vint me transmettre la réflexion du patron. « Maurice Siégel se demande pourquoi vous lui passez les secrétaires. Il ne faut pas qu’il leur parle. Faites en sorte de vous mettre d’accord avec la secrétaire de l’interlocuteur pour passer ensemble afin qu’ils puissent se parler directement sans être obligé de passer par la secrétaire« . Je m’aperçus soudain que j’étais dans un monde de dupes et de snobs où on avait guère de respect pour la « valetaille », le petit personnel de bureau. Déjà chez les Suisse-Allemands, ça m’avait « chatouillée » mais ce qui m’humilia, c’était que Siégel n’avait même pas eu le courage de m’expliquer ce qu’il attendait de moi, qu’il passait par « l’habituelle », celle qui le connaissait bien. J’avais rarement l’honneur d’aller dans le magnifique bureau derrière la double porte. Tout y était feutré, moquetté marron même sur les murs, lumières modernes, télévision, platine stéréo, baffles, placard, réfrigérateur, canapés confortables… En face, de l’autre côté du couloir : un coin-cuisine, une douche et des w.c. privés.

Le courrier m’était dicté par l’assistante, sous le contrôle malsain du chauffeur qui n’arrêtait pas de poser des questions insidieuses et me tutoyait. « T’es belle… t’as un mec ?« , etc. Ces trois jours d’essai m’avaient passablement déçue. Le dirlo était insupportable avec ses caprices de star, son chauffeur aussi avec ses réflexions au ras de la moquette et son humour de beauf. Je fus contente de m’arrêter pour passer le relai à l’autre blonde à lunettes. Après ça, la décision du Directeur Général se fit attendre. Il n’avait pas élu sa candidate préférée. Je me retrouvais sans argent, loin de ma province, dans une chambre d’hôtel miteuse porte de Saint-Cloud… toutefois, j’avais deux autres postes en vue dont un chez Du Pont-Paris. Un jour, je reçus deux télégrammes, le premier de la chef du personnel me convoquant à 14h, l’autre de la secrétaire de Siégel me demandant d’appeler tôt le matin ! Quelle coordination ! Voilà qui donnait une idée du fonctionnement d’une radio en pointe de l’époque. La façon de travailler « à la française » était tout sauf sérieuse. Du grand n’importe quoi.

Je téléphonai à la secrétaire de direction, laquelle me transféra à la chef du personnel, qui medit « il y a deux autres postes à pourvoir chez nous, un à la direction de la Rédaction, l’autre au service des Auditeurs« . Je m’empressai alors de dire « je préfèrerais travailler à la rédaction que pour M. Siégel ». « Mais vous n’y pensez pas, ça n’est pas vous qui déciderez, mais M. Siégel lui-même ». A partir de là, j’appelai tous les jours la petite dame qui finit par m’informer qu’en attendant la décision de M. Siégel, j’irais travailler à la Direction de l’Information de la station. Le lendemain, je fus présentée aux trois Rédacteurs en Chef : Georges Altschuller, Georges Leroy et Jacques Paoli. J’étais aux anges car j’avais détesté travaillé pour le D.G. titi parisien mal éduqué.

Ce que j’ignorais, c’est que je remplaçais une secrétaire virée au bout d’un mois, laquelle remplaçait une autre virée après deux mois. L’auto décrété chef du triumvirat avait pris le pouvoir et ne s’arrangeait pas du tout avec les candidates qu’on lui trouvait. Il était très exigeant. Paoli et Altschuller vivaient leurs vies de journalistes, Leroy dirigeait en même temps qu’il gérait son émission de débat en public, le soir à partir de 19h, au cours de laquelle les auditeurs pouvaient poser des questions. Il fallait être très réactive, savoir filtrer les appels (entre les emmerdeurs et les autres), répondre au courrier des auditeurs, savoir se tenir avec les politiques aussi bien qu’avec les sportifs ou autres célébrités, garder ses distances et être efficace. Je finis par « faire mon trou » à ce poste car, 5 ans plus tard, j’étais toujours là. Bien sûr, au début, les mauvaises langues disaient que je couchais avec mon patron. Parce qu’une secrétaire qui dure et tient le coup avec de tels horaires, à laquelle on donne de la promotion, ça n’est pas parce qu’elle est compétente, mais parce qu’elle couche… Siégel ne fit jamais le choix entre les deux candidates. L’autre blonde continua chez lui 6 mois, puis alla au service des auditeurs. Elle fut remplacée par un assistant venu de la régie publicitaire de la radio.

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15 Commentaires

  1. lediazec

    23 novembre, 2010 à 7:26

    Superbe témoignage, Clo. On s’y croirait. Tout comme, après lecture, on se dit qu’on n’a pas envie d’y rester. Ni là, ni plus loin dans la fourrière médiatique. Quand on a envie d’exercer un métier aussi noble (du moins dans l’esprit), il est impensable de le pratiquer avec de tels requins. Depuis, tout est devenu encore pire !
    Ils sont courageux les journalistes (oui, ça existe encore, même si pas nombreux) qui exercent leur métier dans de telles conditions. Je leur tire mon chapeau.

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  2. b.mode

    23 novembre, 2010 à 7:34

    On attend la suite avec impatience ! Du croustillant, du pipeul, du hard !!! ;)

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  3. babelouest

    23 novembre, 2010 à 7:51

    Ouaip, on a l’impression d’avoir un pied dans une fourmilière, là. Çà pique, ça gratte et çà démange. Quelle horreur !

    Une ambiance superbement rendue !

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  4. clomani

    23 novembre, 2010 à 8:11

    Déjà un grand merci à mon « rewriter », un certain B.mode ;o)). Débordée par mes R.V. médicaux et autres, je n’ai pas touché terre hier… après avoir appris que j’avais un début de cataracte aux deux yeux mais qu’il me fallait attendre que ça s’aggrave pour faire kèkchose ;o)).
    Sinon, il faut rendre à Siégel ce qui lui appartient : il a été celui qui a donné de l’air frais et moderne à Europe N° 1, en lançant des émissions comme « Salut les Copains », qui s’adressaient aux jeunes (quelque peu oubliés sur les autres media). Pareil pour la rédaction, c’étaient de vrais journalistes qui y travaillaient. Le CFJ venait d’être créé, ce qui voulait dire que c’étaient des gens de terrain, des baroudeurs. Siégel a été celui qui a lancé Jean-Michel Desjeunes, qui faisait les émissions de la nuit, Madame Soleil, qui cartonnait tous les après-midi en lisant les cartes aux auditeurs qui avaient des emmerdes…
    Mais bon, c’était un monde de machos paternalistes et quelques uns avaient une mentalité de « parvenus »… ça se fait beaucoup en ce moment ;o)).

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  5. Laetsgo

    23 novembre, 2010 à 8:23

    Ah merdum clo ! J’espère que ce n’est pas grave et que c’est « soignable » facilement !
    Heureux temps que celui de tes aventures parisiennes qui me rappelle l’époque dorée de la jeunesse de mes parents (telle qu’ils la racontent)…tu quittes un boulot le matin, tu en trouves 3 autres l’après-midi….comment veux-tu maintenir les salariés dans la trouille et la soumission dans ces conditions ? C’est pas serieux m’enfin ! Heureusement que c’est fini !!!

    Vivement la suite ;-)

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  6. clomani

    23 novembre, 2010 à 9:03

    C’était une autre époque. Précision : je travaillais du lundi au samedi matin inclus, de 9h à 21h. Précision, Laets : pendant un mois j’avais, de ma province, répondu à des kyrielles d’annonces trouvées dans le Figaro (eh, oui, c’était le seul que je trouvais en Suisse)… Restées lettres mortes bien sûr ! En France -et ça s’est vérifié ensuite- on ne prend jamais la peine de vous répondre… même pas un accusé de réception. En revanche, quand je postulais dans une boîte US ou British, j’avais au moins un accusé de réception, pour ensuite avoir une réponse oui ou merde. J’ai même eu un rendez-vous une fois pour voir qui j’étais : j’avais répondu à une annonce dans l’International Herald Tribune en questionnant la boîte sur la signification de quelques inititiales plutôt « jargonnesques ». Malgré le fait que je n’avais pas le profil et que le job ne me plaisait pas du tout (la finance, beark), ils m’avaient convoquée. Juste parce que ma question les avait amusés et qu’ils avaient aimé ma franchise.
    J’ajouterais aussi que j’avais les compétences : BAC commercial (forcée par pôpa), expérience avec les Suisse-Allemands qui ne sont pas des rigolos, puis des Américains où j’avais appris à travailler dur, mais dans la décontraction. Chez les Ricains, pour mieux comprendre, on m’a fait faire, la 1ère année, des remplacements de gens malades ou en vacances. Du coup, j’ai acquis une très bonne connaissance de l’ensemble de la boîte et de son fonctionnement. Je changeais de boss régulièrement, je passais d’un accent américain au curieux accent écossais,etc. Travaillaient des Allemand, des Indiens, des Italiens, des Suisses, des Norvgiens… Mon dernier job était avec l’attachée de presse british.
    Cerise sur le gâteau, dans le boulot, nous ne parlions qu’anglais et le « you » met tout le monde au même niveau. On évitait ainsi la familiarité voire la vulgarité que j’ai découvertes plus tard dans le milieu de l’audiovisuel français.
    Sinon, c’est sûr que les temps ont changé, qu’emploi = précarité. Quelquefois, je me dis que mon père avait peut-être raison quand il disait « je veux que mes filles fasses des études utiles qui les mènent directement à un travail ». Ma soeur a été instit moi secrétaire puis documentaliste sur le tas. J’en ai longtemps voulu à mon père de ne pas m’avoir laissé faire des études dans l’international. Il avait peut-être raison. En tout cas, les études, je les ai faites à 48 balais, et elles m’ont servi sur le plan « développement personnel ». ;o))

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  7. Rémi Begouen

    23 novembre, 2010 à 9:35

    Clomani – J’ai eu il y a 5 ou 6 mois une telle ‘alerte cataracte’…. Après des examens ophtalmo compliqués, non, c’est pire : une ‘alerte glocaume’ (glaucome?,glocome ?), le truc qui entraîne fatalement une cécité complète ! Ouf, les gouttes prises dans les yeux sont efficaces : cela fait baisser ‘la tension oculaire’ (je ne sais pas trop ce que c’est, sinon que cela entraîne le dit glocome), mais je suis condamné à me mettre le soir une goutte dans chaque oeil, à vie… En prime, j’ai des lunettes de myope, désormais, moi qui n’était que persbyte!
    Bref, bon courage, l’amie… et continue à nous raconter tes ‘zaventures’ dans les médias !

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  8. Didier Goux

    23 novembre, 2010 à 10:03

    Fondation du CFJ : 1946…

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  9. clomani

    23 novembre, 2010 à 11:31

    Merci pour la rectification… n’empêche que mes patrons avaient tous le BEPC, aucun le BAC !

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  10. lapecnaude

    24 novembre, 2010 à 0:48

    Bernard, c’est pas parce que vous avez pu vous goinfrer tous seuls dans votre coin qu’il faut nous oublier – On a faim ! Non mais, des fois ….
    A voir les cadavres (à moins que vous n’ayez fait le ménage) il paraît que vous avez été raisonnables, vous vous promenez de ci de là sur les blogs !

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  11. babelouest

    24 novembre, 2010 à 19:03

    Bernard, je viens encore de voir un troll dans un coin : le ménage laisse à désirer ne trouve-tu pas ?

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  12. clomani

    24 novembre, 2010 à 19:13

    Je déteste la bagnole, le tout bagnole, les katkat, les conducteurs de 4×4, les vendeurs de bagnoles et tout ce qui ressemble de près ou de loin à une bagnole. Je déteste encore plus les hummers et autres guimbardes immatriculées 9-2 qui se garent n’importe où sur les trottoirs pour qu’on les remarque.

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  13. lediazec

    24 novembre, 2010 à 19:50

    Dans le cadre du Grenelle de l’environnement cher à JP La Mata, j’ai viré tous ses commentaires.
    Désormais, JP, tu n’es qu’un Spam. Ca te convient tout à fait.

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  14. babelouest

    25 novembre, 2010 à 4:35

    Ne sommes-nous pas un blog écologique ? On est bieennnnnn là ! Dommage, je n’ai toujours pas réussi à dormir… et j’ai un couscous à faire ! Aïe !

    Là-dessus, goude baille les spams ! et les trolls !
    http://i60.servimg.com/u/f60/11/40/28/12/troll110.jpg
    (suite)
    http://i60.servimg.com/u/f60/11/40/28/12/troll210.jpg

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  15. clarky

    26 novembre, 2010 à 11:51

    je ne vais que répéter ce qu a été dit, mais j’ai des circonstances aténuantes, dans les cévennes ardéchoises ça caillait sévère…
    superbe texte clo.

    putain, j’aurais pu être ton patron clo, même 2 fois plutôt qu’une, vu que j’ai 2 bepc, en fait j’ai tout en double (ça sert pour faire des échanges panini), j’ai 2 bac d et c, 2 bts et 3 années de spé après le 1er bts, la vache, tout ça pour me retrouver à faire de la maçonnerie et des espaces verts :)

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De 1971 à 1998, j’ai travaillé dans plusieurs services de l’audiovisuel public…