Je ne suis pas un passionné de prix littéraires. Je l’ai déjà dit. Pour être clair, chaque année, je tourne le dos à ce que je considère comme la foire commerciale des soldes. Ne me demandez pas pourquoi, la chose est viscérale et je suis incapable d’avancer la moindre explication rationnelle. C’est ainsi, et je n’éprouve ni honte ni regret. Mais je reste persuadé qu’avec ou sans prix, un bon livre est un bon livre.
Alors quand ma copine Françoise, lors de mon déplacement récent à Lyon, a insisté pour m’offrir le prix Goncourt 2004, j’ai éprouvé comme un malaise. Devant son engouement – c’est une fille bien, la copine Françoise – j’ai accepté de me faire offrir « Le soleil des Scorta » de Laurent Gaudé, ce dont je la remercie. J’ai lu ce livre et j’ai aimé. En prime, elle a ajouté « Eldorado ». Ce dernier, j’en parlerai plus tard…
J’ai aimé la violence du soleil et la rareté de la pluie. J’ai aimé ce pays dont la seule frontière visible est la misère et la rugosité des éléments et des êtres. La relation de cause à effet trouvant là matière à discussion, c’est tout ce que le lecteur, ce voyeur, réclame. Si tu dois être violée, violée tu seras. Si tu dois être lapidé, lapidé tu seras. Si tu dois être maudit, maudit tu seras. Jusqu’à la fin des temps, l’aiguille du temps entre sans pitié dans la chair pour n’en sortir que pour mieux nous revenir. C’est la vie. C’est la mort… C’est le recommencement.
Un pays qui meurt à midi, tant le soleil assèche tout être vivant osant braver son règne. Lui, le soleil, c’est le maître du temps. Le tic-tac qui danse, danse, danse… Une danse inexorable d’où le bruit et son souffle sont proscrits. Celui qui ordonne et celui à qui on obéit, sous peine de mourir par le feu. La description qu’en fait Laurent Gaudé est telle que nous n’avons aucun mal à imaginer le désert de vie et de pensée qui colonise les esprits de cette région de l’Italie, qu’on appelle les Pouilles, située dans le talon de la botte, soulagée, pourrait-on dire, par l’Adriatique et la mer Ionienne. Un pays, enfin, où la pluie ne tombe pas, elle s’abat. Ce n’est pas le miracle que le ciel envoie, mais sa punition. Elle déboule en torrents pour disparaître aussitôt, ne laissant de son passage que le sillon raviné de sa violence, qu’on accueille, malgré tout, avec un certain bonheur.
Le livre raconte l’histoire d’une lignée sur laquelle le destin s’acharnera tout au long des générations. Dans ce monde, accroché à l’argent comme le pendu à sa corde, la seule valeur qu’on respecte est celle que l’argent procure. Plus sa quantité est importante, plus le verni qui recouvre les êtres est brillant. Puisque le travail seul ne semble pas suffisant, quand on est d’extraction modeste, pour atteindre la lumières de la respectabilité, on commence par faire ce que tout le monde attend de vous – puisque c’est ainsi que le destin s’écrit pour les Scorta -, on emprunte le chemin le plus court : on vole, on tue, on amasse. Une fois qu’on a obtenu de quoi s’acheter une respectabilité, on s’achète une conscience. Or on sait le prix que cela coûte !…
Quatre générations de Scorta en 250 pages, il faut le faire ! Avec moins que ça, certains font des encyclopédies ! Pari tenu par un Laurent Gaudé halluciné. Certains lui ont fait le reproche de ne pas avoir allongé, comme on dit d’un café qu’on commande au bistrot. C’est que l’auteur aime la caféine. Les suspensifs qu’il ajoute c’est la voie lactée empruntée pour que l’imagination fasse la part de chemin qui lui revient naturellement.
C’est une belle histoire que Laurent Gaudé nous offre en partage.
Le soleil des Scorta -Laurent Gaudé – Actes Sud -coll. Babel – 7,50 €
babelouest
9 décembre, 2010 à 3:50
Salut Rodo !
Eh bien, encore de la belle lecture en perspective ! Merci pour l’incitation.
babelouest
9 décembre, 2010 à 3:53
Une suggestion de titre pour le dessin de la couv’ de Charlie : Miss Terre et Boule de Gum….. OK je sors….
gauchedecombat
9 décembre, 2010 à 7:40
quel talent ! je ne sais si le livre que tu décris est aussi bien écrit mais tu devrais t’y lancer toi aussi, vraiment. je suis très sensible aux qualités d’écriture et je n’en vois guère dans les blogs en général.ça fait du bien dans ce monde de brutes, un oasis dans ce chaos de la vulgarité…
b.mode
9 décembre, 2010 à 7:54
Tres beau style en effet qui se savoure avec délectation
Rémi Begouen
9 décembre, 2010 à 7:59
Bravo de revenir à tes chroniques littéraires, l’ami !
Il semble en effet que ce roman soit envoûtant de force d’écriture! …Pour ce qui est des prix littéraires, je suis bien de ton avis, mais il doit y en avoir parfois de bons, par exception, comme celui-çi. Il me souvient avoir reçu, en déplacement moi aussi, d’une amie (Françoise peut-être!) un livre magnifique : La vie devant soi, d’Emile Ajar. Il n’avait pas encore reçu le prix Goncourt, et l’on ignorait encore que son auteur était Romain Gary, le facétieux… Quel livre!!
clomani
9 décembre, 2010 à 9:23
J’ai aimé comme tu décris ton ressenti en sirotant ce livre/café serré. J’aime aussi beaucoup ton écriture lorsque tu chroniques littérairement ;o)).
Je crois moi aussi que le seul prix Goncourt que j’aie jamais lu a été « la vie devant soi ». Comme toi, je n’aime pas qu’on me suggère « celui-ci est mieux que celui-là ». Je lis, j’aime ou je n’aime pas. Point/barre.
Rémi Begouen
9 décembre, 2010 à 9:55
Gauchede combat – Sache (et sachez tous!) que lediazec s’est déja ‘lancé’ comme tu le dis, à écrire un, deux livres (plus divers écrits épars à regrouper un jour). J’en ai même préfacé un…et je m’aventurai à lui prédire Gallimard, je crois !! : C’étaient des micro-éditions à compte d’auteur, qu’il envoya à divers éditeurs… muets comme carpes, au mieux !
Au fait, l’ami lediazec, pourquoi ne mettrais-tu pas ‘en ligne’ (par exemple sur ton blog vide?) ces deux beaux ouvrages ou autres ‘cailloux dans le brouillard’???
A.Fernandez
9 décembre, 2010 à 13:58
Concernant les prix littéraires : la même chose
Concernant le livre : le souvenir (très vague ) de l’intrigue après quelques années, celui du plaisir à la lecture et de la justesse, il m’a semblé, de l’atmosphère de ces villages du bout de l’Italie et qui m’a rappelé celle que j’avais constatée aux mêmes heures en Sicile.
Il s’agit, comme tu le dis, d’ Un pays qui meurt à midi, tant le soleil assèche tout être vivant osant braver son règne. Lui, le soleil, c’est le maître du temps. Le tic-tac qui danse, danse, danse… Une danse inexorable d’où le bruit et son souffle sont proscrits.
En lisant ce livre j’avais d’ailleurs pensé à la chanson SUR LA PLACE de J. Brel ( http://www.youtube.com/watch?v=2Qrgqt03hgg )
Hara Kiri
9 décembre, 2010 à 15:47
Comme la note s’y prête, « note de lecture », j’en profite pour me refaire un peu de publicité en précisant que deux de mes ouvrages sont publiés et disponibles chez Oxymoron Editions
http://www.oxymoron-editions.com
Alors ce n’est pas du prix Goncourt, mais ça se lit avec délectation pour peu que vous aimiez les ouvrages loufoques (« Wan & Ted ») ou les recueils de nouvelles sombres (« Chaîne de vies »).
Voilà, désolé de troubler le blog avec ma publicité mais quitte à parler de mes livres autant le faire sur les blogs que je fréquente quotidiennement.
b.mode
9 décembre, 2010 à 15:52
Sans probléme Harakiri !
@ A. Fernandez On aurait pu la mettre effectivement en zique du jour !
lediazec
9 décembre, 2010 à 16:26
@ Kamash. T’as bien fait de nous informer, canaillou ! Comme ça, on en sait un peu plus sur ton travail. Ainsi donc, tu squatte du côté de Perpignan ? J’ai des amis par là-bas, du côté de Le Boulou. Un bail que je n’ai pas contemplé la plaine des Corbières ! Dès que j’ai trois sous, je commande tes bouquins chez Oxymoron.
Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence
Hara Kiri
9 décembre, 2010 à 20:37
Merci à vous.
@Lediazec : Oui, je suis catalan d’adoption (depuis tout petit). J’aime ma région encerclée par les montagnes et la mer et berceé par la douce tramontane.
Toi qui parlais de mes articles sur le cinéma, tu vas être servi, je me lance, sur mon blog, dans une série d’articles consacrés au cinéma asiatique.
lapecnaude
10 décembre, 2010 à 2:54
@ Hara Kiri – j’espère que ton bouquin va me plaire car j’ai l’intention de le raconter ici ! dis-donc la prochaine fois fais faire une ristourne pour les copains !
Hara Kiri
10 décembre, 2010 à 15:41
@ Lapecnaude : En fait il y a deux bouquins qui sont à un prix très abordable (un à 12 euros et l’autre à 17 euros) et en plus une partie des frais de port sont pris en charge pour compenser les frais d’envois excessifs proposés par la poste.
Un modeste carte postale est glissée dans chaque livre et je les dédicace sur demande. Il suffit pour cela de préciser par mail à contact@oxymoron-editions.com à qui cette dédicace est adressée.