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Europe N°1 – vitesse de croisière

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europe119551647gogd.jpgLe changement géographique de bureau ainsi que le fait de partager un espace avec une collègue m’ont, en fait, aidée à sortir de l’emprise de ce patron quelque peu possessif qui était le mien.

Par la même occasion, mon univers personnel s’est ouvert sur ce média où j’évoluais et les autres gens qui y travaillaient. Je commençais à m’y trouver bien, je partageais de grands moments de rigolade avec mes copains, particulièrement avec P.M., l’assistant de Siegel, Dudu, son chauffeur, Jean-Claude, Toulonnais, monteur fou de musique, les secrétaires du service des reportages, ou quelques unes des « soeurs frappe-frappe », souvent des femmes assez originales voire excentriques, plus toutes jeunes mais intéressantes. L’une d’elles qui faisait le soir venait travailler avec son chien.

Nous passions notre temps libre au bar d’à côté où nous croisions les artistes du moment, Gainsbourg et Birkin entre autres. L’ambiance y était bon enfant. C’était la succursale de la station de radio.

De temps à autres, nous faisions de petites fêtes impromptues dans le bureau de Siegel, après qu’il ait tourné les talons. Chacun allait acheter de quoi boire ou grignoter et nous passions la soirée ensemble, vautrés dans le bureau du directeur. Il m’est arrivé un soir de faire une danse du ventre sur le bureau directorial. Le lendemain, Siegel aurait demandé à son assistant ce qu’étaient ces traces de pas sur son bureau (j’avais pourtant quitté mes chaussures).

Un soir, l’hôtesse d’accueil étant absente, j’ai dû la remplacer au pied levé et aller servir à boire à l’invité de l’émission-débat de mon patron. François Mitterrand, alors 1er Secrétaire du P.S. attendait l’heure dans le bureau de Siégel, avec son staff, celui du service politique de la rédaction, mon boss, Siegel etc. Je devais servir à boire à tout ce petit monde et j’étais littéralement tétanisée à l’idée d’avoir à m’adresser à Mitterrand, qui était glacial et pour qui j’avais l’impression d’être transparente. Michèle Cotta, qui le connaissait fort bien à l’époque, a dû sentir ma timidité extrême et m’a proposé d’aller lui demander ce qu’il souhaitait boire… ce qui m’a permis de l’éviter. Jamais été aussi impressionnée par un homme de ma vie.

JJSS (Servan-Schreiber) qui s’était lancé dans la politique après l’Express, s’asseyait sur mon bureau, lorsqu’il était l’invité de mon patron, j’avais eu un soir Giscard appelant directement de son Ministère (sa secrétaire avait dû rentrer dans ses foyers). J’évoluais dans ce monde politico-médiatique en sachant où était ma place et je n’avais qu’ un intérêt assez léger pour lui. Le seul qui m’ait intimidée a été Mitterrand. Le lendemain, l’hôtesse à qui je contais ma « soirée dépannage » m’a dit qu’un jour, alors qu’elle l’accompagnait du parking au bureau de Siegel, l’ascenseur s’était bloqué entre 2 étages. Mitterrand, seul avec elle s’était alors muré dans un terrible silence en la fixant d’un regard très noir. Elle gardait de ces 15 mn de solitude avec F.Mitterrand un très désagréable souvenir.

Si, de mon côté, je m’épanouissais, mon patron, lui, n’avait pas changé. Toujours aussi exigeant, méfiant, paternaliste… J’arrivais à 9h (plus souvent avant) le matin et partais souvent à 9h, voire plus tard s’il y avait du taff, le soir. Je travaillais tous les samedi matin et de temps en temps faisais une permanence le samedi après-midi.

C’est un samedi après-midi que mes rapports avec mon boss ont changé. En fin de matinée, il avait exigé que je reste l’après-midi alors que ça n’était pas mon tour. Il avait un rapport confidentiel à me faire photocopier (environ 250 pages dactylographiées) ! A l’idée de passer mon après-midi à la photocopieuse, j’ai commencé à râler. Inflexible ! Je devrais donc passer le samedi après-midi à faire ce boulot passionnant ! C’est vraiment à reculons que j’ai commencé, en pestant parce que j’avais prévu autre chose pour mon après-midi. Deux heures plus tard, j’en étais à peu près à la page 200 quand la photocopieuse s’est coincée ! J’eus beau tirer sur le papier, « débourrer » la machine ! Bloquée. Je suis descendue à la Rédaction voir si je pouvais trouver un bricoleur pour m’aider… personne. J’ai donc appelé mon boss chez lui pour lui annoncer la nouvelle. Il a déboulé comme une furie dix minutes plus tard à la photocopie où j’essayais toujours de bricoler.

- « Mais vous l’avez fait exprès« , a-t-il commencé en vociférant.

- « Oui, bien sûr, pour prolonger d’autant mon temps de travail si passionnant » ai-je répondu au bord de la crise de nerfs.

A la suite de quoi il a plongé le nez dans le moteur, s’est énervé, n’a pas décoincé le bouzin, s’est re-énervé et m’a ré-engueulée. Je me voyais rester là jusqu’à 9h du soir à cause de cette satanée photocopieuse ! Car c’est couru : ces engins tombent toujours en panne lorsqu’on est pressé d’en finir avec eux.

Un moment, mon boss a voulu vérifier les 200 feuillets déjà imprimés et a trouvé une photocopie loupée (l’original était passé en biais). En me rendant le bloc de photocopies et en montrant la page « en biais », il m’a dit ce qu’il aurait mieux fait de garder pour lui :

- « Quand on n’est même pas fichue de prendre la pilule et qu’on se retrouve enceinte, comment voulez-vous être capable de prendre des photocopies » !

Me reste de ce moment un souvenir d’implosion. Je ne sais toujours pas si j’ai hurlé ou si je me suis tue mais je sais qu’il s’est pris toutes les photocopies à la figure. Je suis redescendue à mon bureau et j’ai plié mes affaires. C’était trop. Je n’ai même pas réfléchi aux conséquences que ça pouvait avoir sur mon avenir. Qui avait cafté ? Habillée, j’ai attendu 18h dans mon bureau sans dire un mot. Leroy a essayé de s’expliquer (pas de s’excuser… il ne s’est jamais excusé). C’était trop humiliant pour moi. J’ai tourné les talons sans mot dire.

Le lundi, je m’attendais à être convoquée pour subir l’ire habituelle. Mais je n’en avais que faire. J’étais prête à tout.

Et rien ne s’est passé.

A partir de ce jour-là, le pouvoir a changé de camp, tant je le méprisais.

Il pouvait me dire n’importe quoi, je m’en fichais comme de l’an 40. J’étais en règle avec moi-même, je faisais mon boulot et le faisais bien et s’il n’était pas content, moi je l’étais.

Peu de temps après cet épisode, j’appris en voyant mon bulletin de salaire que j’étais passée cadre et que j’avais été augmentée. Nous étions en 73.

L’année 1974, ma dernière à Europe N°1 reste le meilleur souvenir de mes 38 ans de travail dans le Paysage Audiovisuel Français.

C’est pour le prochain épisode.

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29 Commentaires

  1. b.mode

    10 décembre, 2010 à 2:10

    Tout ceux qui ont croisé de près ou de loin Mitterrand, disent la même chose que toi. Il impressionnait violemment tout son monde. Sinon, Cotta et Nay étaient les Lolo Ferrari, Anne Fulda et autre Valérie Trierweiler de l’époque ? Ou bien…

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  2. babelouest

    10 décembre, 2010 à 7:03

    Ouf… pas toujours commode, l’audiovisuel ! Ailleurs non plus… dans mon boulot aussi j’en ai vus, des trucs. Ta chronique est décidément de plus en plus passionnante, si c’est possible, Clo !

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  3. lediazec

    10 décembre, 2010 à 7:31

    Finalement, au fil des articles, cet ensemble est en train de devenir un livre. Un très bon livre même.

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  4. b.mode

    10 décembre, 2010 à 7:55

    Jean Claude, tu devrais adopter le look hipster ! ;)

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  5. babelouest

    10 décembre, 2010 à 8:32

    hum…. ignorant… hipster, cékoi ?

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  6. b.mode

    10 décembre, 2010 à 8:42

    regarde la une du jour ! :)

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  7. clomani

    10 décembre, 2010 à 8:51

    Ah, la vidéo de « fin » ! Nostalgie des sixties…
    La première voix de la vidéo, c’était Viviane, devenue journaliste de mode pour TF1 plus tard. Une grande bringue charmante.
    De mon temps, vers les 17h, il devait y avoir une émission sur la chanson française (sais plus si elle s’appelait encore Salut les Copains). Tous les jours, les fans commençaient à attendre devant la porte d’entrée à partir de 15h. Lorsqu’il y avait des stars, il y avait des centaines de fans. L’émission se passait en public. Qu’il pleuve, qu’il vente, les « fans » attendaient, souvent tous les jours les mêmes… je trouvais ça un peu pathétique. Il y avait une foultitude de choses plus intéressantes à faire !
    Peut-être parce que j’en avais une vision de l’intérieur, je n’ai jamais trouvé ce monde de l’audiovisuel fascinant. De plus, encouragée par la rivalité Rédaction/Animation d’émissions, je voyais ça d’un oeil très hautain.

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  8. Erby Kezako

    10 décembre, 2010 à 10:22

    Hipster : ça fait quand même un peu Amish… qui aurait décidé de vivre enfin avec son siècle ! … ;)

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  9. babelouest

    10 décembre, 2010 à 10:42

    Bof… hipster, çà me convient mal ! Je suis ringard, mais là çà fait presque hirsute.
    C’est bizarre, Europe 1, c’est une radio que j’ai très peu écoutée. Passé directement de radio Luxembourg ondes longues à France Musique.

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  10. clarky

    10 décembre, 2010 à 11:35

    mitterrand, glacial, il l’est de plus en plus depuis qu’il nous a quittés ;)

    me suis enfilé, si je puis dire, tes 2 dernières chroniques et me dis que quitte à faire de la radio, autant qu »elle soit à classer au rayon X parce que ton expérience semble sexe, drogue mais surtout rock’n'roll ;)

    lecture plaisante en tous les cas !

    tiens, une tontonphile de renom qui me glace le sang en ce moment, elle nous refait le remake de mon sacre à la tronçonneuse la bougresse http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/12/10/intemperies-la-charge-de-segolene-royal-contre-francois-fillon_1451604_3224.html#ens_id=1445226&xtor=RSS-3208

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  11. lediazec

    10 décembre, 2010 à 11:41

    La polémique sur la gestion de la neige. Un feu s’éteint des milliers de conneries s’éveillent. Ah, mon dieu ! Franchement, franchement ! Niveau connerie, le citoyen lambda atteint des sommets de bêtise ! Ah, le bon programme que voilà !
    Je t’appelle cet aprem, mon Lolo. T’es libre ?

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

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  12. clarky

    10 décembre, 2010 à 13:40

    vi mon rodo, je serai dans le jardin en train de mettre en place les euryops qui sont en train de se les peler dans les poteries… vais aussi tailler mon abricotier et rabattre les vivaces avant que l’ère glaciaire ne refasse surface :)

    j’aurai le bigo à portée de louchet ;)

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  13. b.mode

    10 décembre, 2010 à 14:41

    @babel c’était pour rire ! ;)

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  14. b.mode

    10 décembre, 2010 à 17:31

    @clo Charmante chronique qui se délecte au quotidien ! Un vrai bonheur !

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  15. babelouest

    10 décembre, 2010 à 17:50

    @Bmode : oooh toi…. mmfffff…. ;)

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  16. lapecnaude

    10 décembre, 2010 à 19:22

    Alors ce sera pour qui le grand peigne que j’ai acheté en cadeau de Noël ? Faudrait vous décider.
    Chouette le lien sur « salut les copains » et europe 1, j’entendais encore les voix au fil des pages … pa, pa, pa, pa, – papa … DIM ! Et je vous jure qu’imaginer Clo en train de faire la danse du ventre, quelle évocation !
    C’est fou ce qui remonte du fond de la mémoire ce qu’évoque Clomani, et les digressions qui s’ensuivent ..

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  17. Rémi Begouen

    10 décembre, 2010 à 20:59

    A l’époque de Salut les Copains, dont il était une des vedettes, j’avais pris contact avec ‘Clo-Clo’, mon copain d’enfance au Canal de Suez (il m’a même cassé une dent en m’envoyant son plumier en bois dans la gueule, mais surtout nous chantions ensemble dans les ‘sorties boy-scout’ les rengaines de ce style).
    Il m’a répondu fort gentiment, sur un beau papier à en-tête, me fixant rdv tel jour, telle heure, à son lieu de travail. Je ne sais plus ce que c’était, mais luxueux, salons, etc. On m’a fait attendre, un quart d’heure, une demie-heure… puis, enfin impatient, j’ai osé quitter l’antichambre pour m’avancer vers le grand salon, plein de monde, autour de Claude François. J’ai été fermement arrêté par un ‘service d’ordre’, à qui j’ai montré la lettre de Clo-Clo me donnant rdv… Quelques minutes plus tard, on m’indique que, débordé, il ne peut me recevoir, et j’aperçois un geste du bras de Claude pour me saluer de loin !…
    Voilà le dernier contact que j’ai eu avec cet ancien ami : je venais lui montrer mon projet d’essai ‘sur notre époque d’Ismaïlia’, et j’étais sûr qu’il m’aiderait finançièrement à publier ces souvenirs ! : ce fut le premier déboire de mes projets d’édition…
    Je pense que son entourage lui avait dit que je n’étais qu’un gauchiste (ma lettre aidant, ainsi que ma dégaine barbu-chevelu) et qu’il devait me laisser tomber…
    Lui, bêtement, est mort électrocuté dans sa baignoire (la richesse n’épargne pas la connerie de remplacer une lampe ainsi) et je garde un excellent souvenir du gamin d’Ismaïlia, pas du chanteur, que je n’ai jamais aimé !

    Répondre

  18. clomani

    10 décembre, 2010 à 21:47

    Rémi, les stars, à cette époque, c’était l’enfer pour les approcher… ssauf les gens simples. Il a dû se choper le gros melon, ce con et ton rendez-vous, il a dû s’empresser de l’oublier dès qu’il l’a fixé ! Tous ces gens se cherchent dans le regard des autres… j’ai remarqué en croisant par hasard des comédiens ou un autre jour Yannick Noah… c’est comme s’ils « accrochaient » ton regard… tu te sens regardé alors que ce sont eux qui ont besoin d’être regardés …
    Certains appellent ça le charisme… moi j’appelle ça de la déformation professionnelle qui vire au nombrilisme.

    Répondre

  19. clomani

    11 décembre, 2010 à 4:25

    Au fait, puisqu’on est dans des histoires de media, j’espère que vous n’avez pas loupé l’info sur l’ex directeur de Charlie Hebdo, la Justice, et le dessinateur Siné accusé d’antisémitisme…
    Lire le billet de B.Langlois ici
    http://www.politis.fr/Sine-contre-Val,12439.html

    Rrrraaaah, lovely ! Voilà qui va mettre un peu de baume sur les plaies de Siné, enfin, lui apporter un peu plus d’oxygène.. vu l’état de ses poumons…

    Répondre

  20. Bernard Langlois

    12 décembre, 2010 à 9:11

    « Une grande bringue charmante … »
    Vi … Je confirme. Un peu fofolle aussi.
    Elle m’avait invité à dîner chez elle, un soir. J’arrive : il n’y avait personne d’autre.
    Je ne vous raconte pas la suite …

    Répondre

  21. lediazec

    12 décembre, 2010 à 9:14

    Mais si, Bernard, on veut la suite !!!

    Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence

    Répondre

  22. clomani

    12 décembre, 2010 à 9:31

    Rholala, Bernard (L.) j’y crois pas une minute, à ta version du mec croyant aller à un dîner mondain avec plein de gens et se retrouvant « pris au piège » d’une prédatrice ;o))

    Répondre

  23. b.mode

    12 décembre, 2010 à 9:48

    Vous n’êtes Blassel que je croyais ! :)

    Répondre

  24. Bernard Langlois

    12 décembre, 2010 à 9:52

    Y’a prescription …

    @Clomani : c’est pas toi qui t’amuserais à ça, hein (ou alors, peut-être pour une démonstration de danse du ventre ?) :-)

    Répondre

  25. clomani

    12 décembre, 2010 à 10:17

    Si, ça m’est arrivé une fois ou deux, Bernard (Langlois)… mais j’y allais franco. Mais j’aimais mieux me laisser draguer… je pouvais voir si le mec était rigolo, intello, gros con ou aut’chose ;o).
    Sinon Bernard, (l’autre, B.Mode) bonjour les jeux de mots !!!

    Répondre

  26. b.mode

    12 décembre, 2010 à 10:21

    c’était juste pour montrer que je suivais vos ébats… :oops:

    Répondre

  27. clomani

    12 décembre, 2010 à 10:31

    Je précise à tous que je ne fais plus trop la danse du ventre (ou alors par temps sec) mais que je « fais les slows » ;o)) pour éviter les pincements de nerfs entre les lombaires…
    Mais je préfère la salsa et le meringue à tout ça (par temps sec aussi).

    Répondre

  28. clomani

    15 décembre, 2010 à 17:18

    Tiens, il arrive des « cagailles » à « Monsieur Nay », ex ministre du pétrole sous Giscard (Chirac ?) à vérifier… Y sont vraiment bien, ces Gaullistes ;o)).

    Répondre

  29. clomani

    15 décembre, 2010 à 17:21

Répondre à clomani Annuler la réponse.

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La « cabine »

De 1971 à 1998, j’ai travaillé dans plusieurs services de l’audiovisuel public…