Sans avoir mis les pieds en Argentine (ni même en Amérique !), je suis depuis longtemps très sensible aux terribles problèmes sociaux & politiques de cette si vaste région, notamment à la ‘noire’ Haïti et la ‘blanche’ Argentine, c’est bizarre mais c’est ainsi.
‘Je suis Pinpanicard, roi des papillons, roi des Patagons’… fut le ‘cri de guerre’ de mon prof de math (en 4°) qui, pas plus haut qu’un vulgaire Tsarko, sautait parfois d’un bond sur son bureau pour déclamer cela en nous interdisant de rire (il fut paraît-il interné en asile psychiatrique…).
A la même époque, j’entendis parler d’un ‘oncle d’Amérique’, parti faire fortune en Patagonie. Pas à la chasse aux papillons, mais à l’élevage des moutons : tels sont mes tout premiers contacts avec l’Argentine.
Plus tard, j’ai bien sûr appris que l’Argentine était le pays le plus ‘blanc’ de l’Amérique Latine (les autochtones Patagons ont disparu, laissant leur nom à cette vaste région – de même, les autochtones Caribéens d’Hispaniola ont disparu, laissant leur nom à Haïti !). Ensuite, ce fut plus politique : un jeune sous-lieutenant me confia, à la fin de la guerre d’Algérie, qu’il allait ‘poursuivre sa mission occidentale dans l’armée argentine’, sic ! Il était connu pour ses convictions pro OAS, moi (sous-off) pour l’inverse, il fallait donc qu’il fut bien bourré pour me dire ça… mais j’ai depuis appris ‘les exploits’ de ces cinglés d’officiers fascistes français en Amérique, en général, et en particulier en Argentine… Ouf ! J’ai depuis, à Genève vers 1982, eu un génial ami Argentin : ce beau gosse était guitariste et chanteur de rue, réfugié clandestin. Je contribuais à lui trouver de ‘vrais faux papiers’…espagnols ! Aujourd’hui, la (relative) démocratie argentine reconnaît qu’elle a eu aussi des esclaves noirs (bien moins que le Brésil !), qu’elle a exterminé presque tous ses autochtones – elle en protège les derniers -, ceci après bien des décennies de dénégations et de dictatures, sous une forme ou une autre… L’important reste sociologique : l’Argentine (rêvant de l’exploit des USA ?) se ressent ‘européenne’ d’origine, et effectivement les ancêtres de ses citoyens furent espagnols, italiens, allemands, britanniques, français, etc. ou membres de diverses diasporas, juives d’abord, puis peu à peu asiatiques (Japon, Chine) et surtout moyen-orientales (Liban, Syrie, Palestine…). Et l’important est surtout le présent et l’avenir :
Un laboratoire de contre-pouvoirs
Tel est le sous-titre du très beau petit livre (20 E), format à l’italienne, créé en 2006 par les ‘Éditions Alternatives’ : ‘L’Argentine Rebelle’, de la journaliste Cécile Raimbeau et du photographe Daniel Hérard, tous deux excellents. Il paraît qu’existe sur ce thème un bon film documentaire, mais je n’ai pu en trouver trace, avis aux amis chercheurs de compléter cette lacune !
Il n’est pas possible ici d’entrer dans le détail de cet ouvrage si riche. J’en donne d’abord la table des matières pour un survol rapide, puis l’éloquente quatrième de couverture :
- Avant-propos : la résonance des casseroles
- Introduction : Pour comprendre la crise et les rebellions qu’elle nourrit… (1- De la dette au pillage, une économie ruinée -2- Petit glossaire très argentin) – 1° partie : Quand les élus ne représentent plus… (1- L’Argentinazo -2- Révolutionner la démocratie) – 2° partie : Quand le pouvoir d’achat chute… (L’économie de bric et de troc) – 3° partie : Quand les services publics disparaissent… (1- Les utopies voyagent en bus -2- les habitants de Don Orione se sauvent des eaux) – Cahier photo (en noir et blanc, plus de 60 pages, presque la moitié du livre !) – 4° partie : Quand les usines ferment… (1- Zanon passe sous contrôle ouvrier -2- Un palace aux mains des travailleurs) – 5° partie : Quand les chômeurs n’ont rien ou si peu… (1- Les chômeurs prennent le ciel d’assaut -2- Être toujours rebelle) – Conclusion (ces autres mondes possibles…)
- Quatrième de couverture :
«Parce que l’on reproche souvent aux altermondialistes d’être plus adroits à contester joyeusement qu’à construire, les auteurs de ce livre ont voulu raconter comment des rebelles argentins apportent des solutions innovantes à des problèmes concrets.
Quand les élus ne les représentent plus, des citoyens organisent la démocratie directe dans leurs quartiers. Quand le pouvoir d’achat chute, l’économie se fait de bric et de troc. Quand les usines ferment, les licenciés refont tourner leurs chaînes de production sans patron…
Ces expériences argentines proposent des réponses qui peuvent également intéresser les vieilles démocraties doutant de leur avenir, confrontées à la crise de représentativité, à la baisse du pouvoir d’achat, à l’augmentation du chômage…
En textes et photos, voici donc l’histoire de la rébellion de citoyens qui nous ressemblent, en réaction à des crises qui nous menacent. »
Vision menaçante, prémonitoire de la France, de l’Europe, en 2011-2012 ?
http://www.dailymotion.com/video/xfsy2
Rémi Begouen
26 décembre, 2010 à 7:44
Merci les poteaux, de la parution de cet article. J’envoie un courriel à Rodolphe pour corriger, si possible, un défaut de présentation…
lediazec
26 décembre, 2010 à 7:56
Voilà qui est corrigé, mon Rémi.
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b.mode
26 décembre, 2010 à 8:29
Ajout d’un lien intéressant sur l’usine de céramique de Zanon (je me suis permis une correction
) au fonctionnement démocratique, participatif et horizontal. Eh oui ça existe !
Rémi Begouen
26 décembre, 2010 à 8:37
La phrase du jour est juste mais pessimiste, merci Gavroche. Je suis frappé d’avoir lu dans ‘Argentine Rebelle’ la même analyse, concernant les débuts de leur période de crise… Puis, là-bas, la situation c’est tellement dégradée que, non sans mal (‘en laboratoire’) se sont créés des contre-pouvoirs…efficaces!!
lediazec
26 décembre, 2010 à 9:26
Merci Bernard pour ce lien vers Zánon. Une autre économie et un autre syndicalisme sont possibles. La prise en main de son destin, en somme. Une réponse par les faits du désastre capitaliste. Victime de sa cupidité, il montre, malgré lui, les voies à explorer par le monde salarial. Édifiant.
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clomani
26 décembre, 2010 à 11:15
Pour vérifier tout ça, je suis allée en Argentine en novembre 2008… C’était en pleine campagne électorale de la Christina Kirchner… (même à gauche, elle m’avait l’air sacrément libérale d’après ce que je lisais).
J’allais sur les pas de mon grand-oncle côté paternel. Parti comme mousse sur un bateau dans son très jeune âge, il avait séjourné quelques mois à Mendoza où il était ouvrier dans une usine automobile il me semble. J’avais aussi en mémoire les reportages de Bernard Benyamin, longtemps envoyé spécial d’Antenne 2en Amérique Latine. Il avait fait un très beau reportage sur les « folles de la place de Mai » : des mères, grand-mères, femmes en tout cas dont les enfants avaient disparu pendant la dictature de Videla qui tournaient en rond, coiffées d’un foulard blanc, sur la Plaza de Mayo (la place qui fait face au Palais Présidentiel), pendant et après la dictature. En plus de ça, les reportages sur les « casseroleros » manifestant contre la débine des banques et du peso, indexé sur le dollar. Tous les Argentins qui avaient de petites économies se sont retrouvés du jour au lendemain sans un sou, parce qu’il fallait payer la dette !
A Buenos-Aires, où le quartier riche (peuplé des gens du gouvernement, des stars de télénovelas, de journalistes, affiche ses garages à bateaux (il est situé le long du fleuve), ses 4×4, ses enceintes de protection hérissées de barbelées et autres tessons de bouteille, on a l’impression qu’il n’y a pas eu de crise. Au niveau de la classe moyenne, les rares personnes que j’ai rencontrées avaient souvent deux emplois pour garder leur train de vie d’avant. Les pauvres, eux, ils rament. Ils sont dans les banlieues et viennent de loin pour cirer les chaussures, travailler dans les restaurants de 11h du matin à 11h du soir -c’était le cas de celle qui est devenue ma copine, la serveuse d’un petit restaurant italien proche de mon hôtel-. Ou ils font la manche sur les trottoirs défoncés de la ville. Parce qu’elle brille Buenos-Aires, elle fourmille, elle est bruyante, elle est latine. Quand je me suis baladée dans le quartier des banques, j’enrageais… parce que je n’avais jamais vu autant de banques voleuses concentrées dans un espace aussi restreint, à côté du quartier commerçant. Ce quartier commerçant ressemblait à d’autres quartiers occidentaux, avec des vitrines de jouets Disney, des cinémas projetant des films américains… Buenos-Aires m’est apparue comme une ville de « frime », qui pète plus haut qu’elle a le derrière et qui vit sur ses « restes » : restaurants vieillots, boutiques vieillottes, mais pas par goût, par manque de fric.
Quant à Mendoza, située aux pieds des Andes (sur la route des vins et celle qui mène à Santiago du Chili), elle vit grâce aux vignobles qu’on longe dès la sortie de l’aéroport. Ses commerçants s’y enrichissent de par la proximité du Chili, pays beaucoup plus riche -les mines- que l’Argentine. Un commerçant qui vendait des articles en cuir (évidemment, la pampa n’est pas loin) m’a raconté sa haine vis à vis des Chiliens, ces parvenus qui allaient arriver en hordes car c’était un jour férié au Chili. Ils s’étaient enrichis très vite en restant de pauvres paysans, tous Indiens etc. Puis il s’est tu car des Chiliens étaient entrés dans sa boutique. En effet, ce jour-là, j’ai pu voir les Chiliens se ruer dans les boutiques de change privées, dans les magasins. C’étaient pour la plupart des familles nombreuses, aux traits beaucoup plus « indigènes » que les Argentins, plutôt mal habillés comparé aux Argentins, trimballant des tonnes de produits achetés dans des sacs en plastique.
La frustration de l’Argentin ayant dû subir deux crises financières face à ces nouveaux riches était perceptible. L’humiliation aussi… parce que les Argentins sont tombés des bateaux européens alors que les habitants des autres pays sont tombés du ciel. En effet, la plupart des Argentins ont gardé la nationalité de leurs ancêtres et donc la double nationalité : soit ils sont Italiens et Argentins, soit ils sont Espagnols et Argentins.
Tout ça pour dire que ton petit bouquin, Rémi, je vais me le commander parce que je sens qu’il va me donner les clés qui m’ont manqué lorsque j’étais dans ces deux villes argentines (je ne peux pas dire que j’ai « fait l’Argentine » car j’ai loupé la pampa, les montagnes du Nord-Ouest, les chutes d’Iguaçu, el Perrito Moreno et la Patagonie (qui sont les zones très prisées des touristes).
En tout cas, j’en suis revenue déçue… probablement parce que je n’ai pas fait les bonnes rencontres au bon moment.
Rémi Begouen
26 décembre, 2010 à 14:12
-Oui, merci B-mode du lien établi sur Zanon !
-Merci aussi, Clomani du récit de ton voyage en Argentine, même si tu y as ‘loupé’ L’Argentine Rebelle : tu n’as plus qu’à y retourner après lecture de ce beau bouquin !
-A tous deux et à tous : Je cherche toujours les références de ce film docu sur le sujet, j’espérais que vous l’aviez… avis à la population !
clomani
26 décembre, 2010 à 15:58
Je viens de trouver ce lien sur un docu cité par Naomi Klein… (dont j’ignorais totalement l’existence) :
http://www.journaldunet.com/management/0504/050479klein.shtml
ou « Memoria del Saqueo » d’un certain Solanas c’est plutôt la génèse des crises successives, qu’on peut trouver(en espagnol) :
http://www.youtube.com/watch?v=XnnHRb16sRc (pour la 1ère partie)
http://www.youtube.com/watch?v=eyX04RgDptQ&NR=1(deuze)
http://www.youtube.com/watch?v=V1ZLs8HxzhY&NR=1 (troize)
etc… vous trouvez la suite à la droite de l’écran où passe la vidéo, ou en fin de vidéo.
Mais impossible de visionner ce film « The Take ».
Rémi Begouen
26 décembre, 2010 à 18:43
Je viens d’apprendre que le film docu dont je cherchais les références est un long métrage projeté dans des cinés de France, vers 2004/5; il doit s’agir du même Fernando Solanas que celui évoqué çi-dessus par Clomani. Il s’appelle : ‘La dignité du peuple’, excellent titre. Est-ce le même docu que celui évoqué par Clo, je n’en sais rien ! Mais, avec de telles précisions, de plus fûtés que moi trouveront sans doute traces de ce film, merci de nous en faire part…
lediazec
26 décembre, 2010 à 18:53
Vidéo ajoutée Rémi !
Dernière publication sur Kreizarmor : Place Vendôme, haut lieu de l'indécence
clomani
26 décembre, 2010 à 20:17
Ben voilà la version complète, grâce à gougueule :
http://video.google.com/videoplay?docid=3259252475517173673#
Hay que entender el espanol !!! Carrrramba ;o)
Rémi Begouen
27 décembre, 2010 à 9:35
Merci Lediazec d’avoir ajouté la vidéo du film, avec sous-titres, mais c’est court!…
Merci Clomani d’avoir donné le lien pour visionner le long film, passionnant, bien fait, émouvant… même si, faute de sous-titres, j’ai dû passer à côté de bien des choses (que ne suis-je polyglotte, comme toi!).
Merci à tous et à chacun de nous donner, à l’occasion, des nouvelles de la ‘Belle rebelle’ exemplaire, car si ces épisodes argentins sont désormais de l’Histoire (récente), l’heureux avenir de cette société est loin d’être assuré… le nôtre non plus!!
clomani
27 décembre, 2010 à 9:46
Je n’ai pas encore tout vu du film… mais je vais louper aussi des moments car j’ai un peu perdu de mon « castillan » et les Argentins ont un drôle d’accent -et parlent plus vite que les Mexicains-.
Sinon pour t’informer, je te propose ce lien (en français. C’est le blog d’un Français qui vit de longue date à Buenos Aires. Il donne des infos sur le tourisme là-bas mais aussi sur l’actualité, les grèves, etc. Et ça a l’avantage d’être en français ;o)).
http://www.petitherge.com/ en bas de la première page, commence l’actu du pays.