Bienvenue sous Le Pavé… (la page !) Daniel Mermet a eu la bonne idée de rediffuser le 28 décembre une émission de ‘Là-bas s’y j’y suis’ du 23 juin 2010 (que j’avais loupée). Consacrée à Frank Lepage, auteur de ‘conférences gesticulées’ c’est-à-dire de ‘spectacles culturels’ très anticonformistes et drôles. Créateur surtout, avec ses potes, d’une ‘entreprise’ très originale nommée ‘Le Pavé’.
L’entretien commence par l’aventure d’une visite à une très très vieille dame, (aujourd’hui décédée), Christiane Faure, qui fut pionnière des activités de ‘l’Éducation Populaire’ dès la Libération… Les vieux Français se souviennent (par eux-mêmes ou par leurs parents) des bienfaits de ces initiatives si diverses, soutenues (encadrées pas toujours) par le PCF de l’époque (sa ‘grande époque’). C’est pourquoi, le retour de De Gaulle au pouvoir (1958) sonna le déclin définitif de ce style d’activités, au profit bientôt (61) d’un premier ‘Ministère de la Culture’, avec son grandiloquent André Malraux à sa tête…
C’était le tout premier du genre dans les démocraties (il y en a maintenant partout) : les premiers ministères ‘équivalents’ furent des créations de Mussolini, Hitler, Staline : précédents redoutables !
L’on fit donc ‘bien mieux’ en France, avec beaucoup de bas et de hauts. En ‘haut’, ‘L’éducation Populaire’ eut encore de l’influence via les MJC, ces Maisons de Jeunes et de la Culture, jusque vers 1981. Avec Mitterrand et son grandiloquent Jack Lang, ce fut la fin.
‘La Culture’ devenait élitiste, du genre ‘l’élite culturelle daigne s’adresser aux masses incultes’ : fini la culture paysanne, ouvrière, artisanale, qui ne sont que vieilleries obscurantistes, voici l’Art Conceptuel, non mais !
– Il est vrai que le Jack inventa pourtant ‘La Fête de la Musique’, qui fut d’abord à peu près de création populaire : mais on sait que c’est désormais une institution (municipale ou commerciale) dont sont presque exclus les petits amateurs festifs comme vous et moi… Quant à l’institution ‘France-Culture’, elle ne mérite pas son surnom de France-Q, d’accord, mais elle est souvent odieuse de prétention élitiste, tout comme la ‘Culture du Q’ qui s’étale commercialement partout : Konsommez la ‘Kultur Q’…
Frank Lepage, adepte du vol delta, parle ainsi de son ascension dans une bulle d’air chaud. ‘Je ne peux rattraper celui qui est déjà bien plus haut : à l’image du prolo qui se cultive sans rattraper le niveau du bourge déjà bien plus cultivé. Sauf exception géniale. Et l’air chaud ne se mélange pas à l’air froid pour donner de l’air tiède, mais le contact provoque l’orage : métaphore des luttes de classes !’… Bref, c’est jubilatoire, éclairant. Sérieux aussi, à propos de la ‘xyloglotte’, ou ‘langue de bois’ – dont voici un aperçu, venant du dictionnaire de la dite langue :
CULTURE :
Pourquoi ce mot connaît il depuis trente ans un succès tel que même le sport éprouve le besoin de justifier qu’il est aussi une pratique « culturelle » ?
Grâce à l’école, le capitalisme déguise son exploitation en faisant croire que chacun est responsable de sa place dans l’échelle sociale, et des efforts qu’il a mis à se cultiver. Si l’on est OS à la chaîne, c’est par paresse intellectuelle, nous avions les mêmes chances au départ ! Grâce à l’école, la culture est une machine à classer les gens en les faisant se sentir coupables.
Depuis trente ans, la référence au « culturel » sert à effacer, détruire, et remplacer la référence au « politique ». Par exemple, si l’excision est condamnable d’un point de vue politique (qui consiste à préférer des valeurs telles que l’égalité de l’homme et de la femme), on nous apprend qu’elle est éminemment respectable en tant que « pratique culturelle ». On n’a rien à dire de la « culture » des autres, parce que la culture est sacrée. C’est d’ailleurs à cela que sert cette nouvelle religion : que l’on ne puisse plus rien dire !
Avec la culture, tout se vaut Pire encore : en ramenant discrètement la question de la culture à celle de l’artiste, les socialistes au pouvoir des 1981 consacrent la figure managériale du travailleur nouveau : créateur, producteur indépendant, autonome, ludique, inventif, non-revendicatif, férocement individualiste…
A la place du militant politique, collectif, poussif et besogneux des années 70, le pouvoir encourage l’artiste, non pas celui qui voudrait délivrer un message (quelle horreur), mais celui qui exprime un narcissisme chahuteur, adolescent, provocateur et rigolo,celui qui exprime le vide, le rien, la dérision de toutes les idées et de toutes les utopies, la moquerie du politique et des valeurs. On encourage l’imaginaire à condition qu’il ne mène vers aucune vision politique.
On ne doit plus croire en rien car c’est ringard. On doit jouir de la crise et de la mondialisation qui est une chance pour l’homme, enfin seul, débarrassé des pesants collectifs. Il n’y a plus d’emploi dans les banlieues, mais il y a l’art et la création. Que les enfants des immigrés dansent du hip-hop, cela convient au pouvoir : pendant qu’ils deviendront des « créateurs », ils ne feront pas de syndicalisme.
Comme le disait Malraux en 1961 en inaugurant la première Maison de la Culture à Bourges : « Nous allons enfin savoir ce qui peut être autre que le politique dans l’ordre de l’esprit humain »….Eh bien voilà qui est fait ! En 1968, Francis Janson, quant à lui, proposait d’appeler Culture ce qui permet de se choisir politiquement…mais il est vrai que c’était en 1968 !
babelouest
29 décembre, 2010 à 5:59
Je l’évoquais avec Bernard très récemment : la culture peut être extrêmement populaire, conviviale, créée avec trois fois rien et beaucoup de professionnalisme. Je lui citais l’époque où Niort était un haut lieu de culture pratiquement spontanée, il y a une quarantaine d’années. A cette époque-là, les comités d’entreprises des mutuelles étaient à la fois puissants, et basés sur un grand bénévolat.
Je me souviens avoir assisté à un spectacle, après le boulot. C’est un collègue qui m’y avait convié. Cela se passait dans la cafèt’ de la MACIF, on avait reculé les tables, placé des chaises. Une troupe de de jeunes parisiens, ils étaient 7 ou 8, se produisaient dans ce théâtre improvisé devant une bonne cinquantaine de spectateurs. Déjà très pros, ils savaient faire réagir à fond « la salle ». Sans doute les « cultureux » se fussent gaussés de cette pièce d’avant-garde. Mais des initiatives de cet ordre, on en voyait à l’époque plusieurs par semaine. Chaque mois, « Le Petit Salé » s’en faisait l’écho. C’était l’organe de la coordination des Comités d’entreprises. Chaque mois, comme d’autres publications annonçant des spectacles et des initiatives, il était affiché sur le tableau ad hoc du Centre Pompidou, à Beaubourg.
Là on pouvait dire que la culture était dans la rue, qu’elle était la rue, qu’elle était la ville…. Il n’en reste rien.
b.mode
29 décembre, 2010 à 8:58
Je me souviens, banquier !
Ai ajouté le lien wikio !
gauchedecombat
29 décembre, 2010 à 9:04
passionné par l’histoire (et la réalité) de l’éducation populaire, je ne pouvais que me retrouver dans ce billet… Cette culture là ne me semble pas avoir disparu. En tous les cas, pas en province. Et que les cultureux purs et durs s’enmoquent…Tant pis pour eux : ils y perdent leur âme. D’enfant.
Rémi Begouen
29 décembre, 2010 à 11:00
Je me suis payé les 2h30 de la vidéo de l’artiste, grâce au lien sur son nom… C’était déja jubilatoire pendant les 40 minutes d’hier avec Daniel Mermet, là c’est le top!
Heureusement la vidéo est disséquée en 5 partiess, on peut prendre son temps, y revenir quand on peut… Si vraiment cela semble trop long, voir directement la dernière partie (conclusion), un feu d’artifice, avec ‘tour de cartes’ magique!
Je parie que cela donnera envie de tout voir, peu à peu…
J’ai rajouté un 67°commentaire au site, signalant la parution de cet article sur Ruminances…
Rémi Begouen
29 décembre, 2010 à 11:28
Petite correction : la 5° partie ne s’appelle pas ‘conclusion’ (car c’est à chacun de conclure…) mais ‘colloque’, c’est à dire parodie brillante d’un colloque prétentieux !
clomani
29 décembre, 2010 à 12:15
J’en suis à la première partie… quel délice !
Merci Rémi pour avoir signalé l’émission de Mermet et le bonhomme, et B.Mode de nous avoir déniché le lien !
Rémi Begouen
29 décembre, 2010 à 16:43
Aujourd’hui, nouvelle rediffusion d’une émission de Daniel Mermet, excellente aussi, sur un tout autre sujet… voisin ! :
une lutte syndicale dure chez Citroën à Aulnay, où se vérifie les réflexions citées dans la citation de fin de l’article sur l’espoir du patronat que les ouvriers soient désormais bien trop individualistes pour continuer la lutte sybdicale… Espoir déçu ici grâce à un jeune militant, Ahmed, menacé de licenciement : pendant son entretien avec la direction, ses camarades débraient, etc. Et, dans la discussion, il est beaucoup question de la transmission sur plusieurs générations de la tradition -CULTURELLE! – des luttes ouvrières, quelques soient les grosses différences (Ahmed dit que son père ouvrier était analphabète, lui a le bac… mais reste ‘rebeu’ bien que citoyen français…
lapecnaude
29 décembre, 2010 à 23:13
Merci Rémi de remettre ainsi les choses à leur place, et la culture, la vraie celle qui vient du coeur du peuple qui arrive à survivre à tous ces cloportes de pseudo-intellectuels.
(Entre nous, écouter les commentaires « éclairés » des amateurs de peinture dans les galeries est un summum … de conneries. Les entendre s’extasier sur la profondeur du noir recouvrant une toile et exprimant ce que pensait le peintre, un vrai délice !)
Je préfère, de loin, toutes ces petites formations de musiqueux qui se produisent dans le métro ou sur les plages.
Si tu parles de la transmissions de la culture des luttes ouvrières, l’individualisme forcené qui prévaut depuis des dizaines d’années à autant d’esprit que les machines-robots qui remplacent les ouvriers.
lheretique
8 janvier, 2011 à 15:34
Pas mal vu, même si tout ceci ne procède pas nécessairement du capitalisme en tant que tel.
b.mode
8 janvier, 2011 à 16:44
tiens l’ibère à tics, ça ne t’a pas échappé, on a migré ici http://ruminanc.blogspot.com/ Bienvenue là-bas !